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224 VICTORIA LAFONTAINE. donner un sou pour aller et un sou pour revenir, ou encore plus tort de faire croire à son père qu'elle les donne, car le passage n'était que de deux centimes, ou plutôt deux liards, la moitié d'un sou. Elle a encore tort d'aller faire le grand tour pour éviter le pont Saint-Vin- cent, car le premier pont non payant après celui-ci est celui de Mâcon, à soixante kilomètres plus haut, A quelle heure peut-elle donc aller travailler à sa manufacture? Son père est tout à fait coupable de ne pas connaître ces détails. Quant à moi je ne le lui pardonne pas. La jeune fille est désappointée d'apprendre que les' dix sept francs , qu'elle a économisés en faisant le grand tour et en passant le premier pont non-payant au-dessus du pont Saint-Vincent, ce qui la ré- chauffe pendant l'hiver et lui fait prendre l'air pendant l'été (je le crois bien, cent vingt kilomètres par jour, aller et retour), ne suffisent pas pour acheter une maison et un jardin, même à Villeurbanne ; elle se désespère Heureusement que le pauvre ouvrier, son père, la mène un jour à la comédie. Elle voit des actrices parées et couvertes de dia- mants; dès lors sa vocation est décidée, elle se fera actrice pour ache- ter une maison à son père; ce qui fut fait.La voilà partie. Un jour elle revint de Paris et la maison fut achetée des propres mains de M. Richard Vitton. Mais, dit notre conte bleu, « la réalisation de son rêve ne fut point la suprême et dernière joie du père Valous. Un jour, on le fit venir à Paris, et on le conduisit dans une belle église tendiie de velours, garnie de tapis élincelants de lumières ; il y avait foule. Des hommes d'élite, des supériorités artistiques et littéraires étaient là . Le violon d'ÃIermann électrisait les âmes, l'orgue réson- nait sous la voûte, des voix magnifiques se faisaient entendre. Mais le père Valous ne remarquait rien do tout cela, il était si ravi qu'il en avait les larmes plein les yeux. « C'était sa fille qui se mariait.... » Voilà comment la jeune et charmante Victoria Valous devenait Madame Lafontaine. — J'aime autant un conte des Mille et une Nuits. Cela s'appelait : La maison, du père Valons. C'était un conte, nous l'avons dit, conte quant à certains détails absurdes ; voici l'histoire vraie. C'était à l'époque où la France s'était payé une république. Le poste de Bellecour avait un aspect formidable. Quarante hommes veillaient autour de leurs faisceaux. Ils appartenaient à la première compagnie des voltigeurs du bataillon de Perrache ; ces voltigeurs