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LE GRIMPION. 155 interdisent d'aller nulle part; les enfants, qui exigent une surveillance continuelle, ne se mêlent plus aux jeux de leurs petits amis du voisinage; on se plaint du bruit insupportable qui se fait dans le quartier marchand où l'on demeure ; on ne tarit point en critiques sur son humidité, son insalu- brité, ses fétides exhalaisons; il est impossible de tolérer davantage tant d'inconvénients, et, voilà que tout à coup un char de triomphe emmène pompeusement les meubles, les ustensiles, et les dieux lares du grimpion devant quelque bel édifiée d'une rue bien sèche, bien aérée, bien élevée surtout; c'est là qu'il prend position pour, commencer une nouvelle série de manœuvres. Et d'abord il se débarrasse le plus souvent du nom de sa femme; roturier comme le sien, il n'est qu'un obstacle de plus à surmonter; puis il vit la solitaire, car son éloigne- ment de ses anciennes relations le fait complètement oublier par elles; les amarres sont brisées, il flotte. Il fait table rase pour se faire une nouvelle coterie, et les moyens qu'il prend pour cela varient suivant son humeur, En voici un, assez souvent employé par le grimpion. Il donne une brillante éducation a ses enfants, les habille élégamment, les envoie chez les maîtres où s'instruisent les fils ou filles de ceux chez qui il veut arriver; il commence par faire de petites invitations sans conséquence à leur progéniture, qu'il choie, qu'il caresse, comme on saisit les branches pour parvenir au tronc. Les enfants reviennent enchantés des soirées données par le nouveau voisin; leurs parents s'informent de sa tenue dans le monde : on leur répond que c'est un homme retiré, qui ne voit personne ; cet individu tout a fait isolé inspire moins de répulsion aux gens du haut, qui ne feraient, en l'admettant chez eux, qu'une connaissance individuelle, point entourée d'une clientelle importune et populacière. Puis le grimpion est si honnête, si prévenant avec ceux dont il cherche à capter la bienveil- lance, qu'il trouve ou invente mille occasions de leur té- moigner son dévoûment, sou respect, son envie de leur plaire. Il adopte leur manière de vivre, car, enfin, la soupe n'est pas plus chère mangée à quatre heures qu'à midi ; cependant, si sa fortune le lui permet, il prend aussi quel- ques habitudes de luxe, il parle de ses chevaux, de son ca- briolet, de sa voilure, et sa bouche est enflée de toutes les dépenses de bon genre qui vident sa bourse. Enfin il est