page suivante »
1 14 CINQ-MARS ET DE THOU. « Tout cela (1) fut accompagné d'une action si vive, si gaie et si forte, que plusieurs de ceux qui estoieni esloignés pensoieat qu'il fût dans des impatiences, et qu'il déclamoil contre ceux qui esloient cause de sa mort. « Après ce psalme, estant encore à genoux, il tourna sa veue à main droite, et voyant un homme qu'il avoit embrassé dans le Palais, parce qu'il le rencontra avec un huissier du Conseil, qu'il connoissoit, il le salua de la teste et du corps, et luy dit gaiement : — « Monsieur, « je suis vostre très-hurnble serviteur. » « Il se leva, et l'exécuteur s'approchant pour luy cou- per les cheveux, le P. luy osta les ciseaux pour les donner à son compagnon. Ce que M. de Thou voyant, il les iuy prit des mains,en disant : —« Quoy! mon Père, « croyez-vous que je le craigne ? N'avez-vous pas bien « veu que je l'ai embrassé? Je le baise, cet homme-là , « je le baise. Tiens, mon amy, fais ton devoir; coupe- c moi mes cheveux. » — Ce qu'il commença de faire; e mais comme il estoit lourd et maladroit, le P. luy osta les ciseaux et les fit couper (les cheveux) par son com- Thou était, à ce moment suprême, en proie à une exaltation religieuse des plus intenses et même voisine du délire. On ne peut nier, au surplus, que les derniers actes du malheureux condamné portent plus ou moins l'em- preinte de la disposition d'esprit dans laquelle il se trouvait alors, et qui s'était également manifestée chez son compagnon d'infortune, quoique à un degré bien moindre et d'une manière beaucoup plus contenue. (1) C'est-à -dire l'improvisation dont il vient d'être parlé. Celle-ci, quoi- que nécessairement affaiblie et décolorée en passant par la plume de l'au- teur de la relation, n'en respire pas moins une éloquence passionnée. Oui, ce dernier discours, dans lequel Auguste de Thou a fait passer tout son cœur et toute son âme, est eomme le chant du cygne de celte noble victime si douce, si résignée et si touchante.