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LA CIGALE ET LA F0U11MI. 517 fabuliste ; vous ne vous êtes pas souvenu que la Cigale était consacrée à Apollon, que les Athéniens portaient son image dans leurs cheveux et que les Grecs lui avaient érige un monument à Ténédos. On gravait une cigale sur les lyres, et Anacréon chantait : « Doux prophète de l'été, la cigale est révérée de tous les mortels. » Vous, au contraire, vous portez haut la vertu des millionnaires dans la personne de la Fourmi ; vous êtes sévère pour les artistes dont la Cigale a été à toutes les époques le gracieux emblème, pour ces peintres , ces sculpteurs, ces musiciens, ces poètes qui cherchent le beau, l'idéal, et qui charment nos oreilles sans penser à l'avenir. La Fontaine était un de ces imprévoyants ; il avait chanté tout l'été, il avait passé sa verte saison à cultiver la poésie. Au lieu d'entasser et d'acheter de la rente, il avait trouvé plus noble d'imiter Homère, Ossian, Milton, le Camoëns, le Tasse, pauvres cigales qui , dans leur temps , n'ont pas fait fortune et qui ont été fort dépourvues quand la bise est venue, c'est-à -dire quand la vieillesse, la pauvreté, le malheur ont étreint leur cerveau et tué leur imagination. A leur suite et avec eux tous, La Fontaine avait cru pouvoir solliciter un vermisseau ; il était allé crier famine chez les Lucullus, les Licinius, les Roschild de l'époque, mais ces hommes n'étaient pas prêteurs, et La Fontaine le dit: « C'est là leur moindre défaut.» Lucullus avait besoin pour ses festins des richesses qu'il avait soigneusement amassées en Asie, Licinius mariait sa fille, les autres étaient à découvert. Homère, Ossian et La Fontaine avaient été très-mal reçus ; ils avaient eu beau implorer humblement quelques billets de mille francs pour subsister jusqu'à la représentation de leur prochain opéra. On leur avait demandé sur quoi on pourrait prendre hypothèque. — Que faisiez-vous au temps chaud , mon bon vieillard? aviez-vous un commerce, une industrie? — Hélas ! non! je faisais l'Iliade ou le Paradis Perdu, et je n'ai pas encore touché mes droits d'auteur. — Ah! vous faisiez l'Iliade, j'en suis bien aise. Eh bien ! publiez un Cours de littérature maintenant. Vous trouvez ce langage tout naturel, Monsieur ; vous applau- dissez la Fourmi qui ferme sa porte au chanteur, vous la donnez