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UNE VISITE AU TOMBEAU DE JACQUARD. 517 Jeune homme, époux ou père, en tout temps tu sus bien Faire avant le grand homme aimer le citoyen. Humble et prenant ta part des humaines traverses, On te vit, résigné dans tes peines diverses, O bonhomme naïf, au front pensif et doux, Vivre comme eût vécu le moindre d'entre nous, Et, cherchant de tes fils l'accord inimitable, Rêver de ton métier, comme Jean d'une fable. Quand l'ouvrier, ce frère, objet de tant de soins, Eut brûlé ton métier, tu ne l'aimas pas moins ; Il répandit au vent cette poussière sainte, Sans pouvoir à ta bouche arracher une plainte, Et, te réfugiant dans un hautain mépris, Tu n'as même, pas dit: la gloire est à ce prix. Et, tels que des frelons, exploiteurs des abeilles, Quand d'autres récoltaient tout le Irait de tes veilles, Tu vis briller leur or sans en être envieux, Tu gardais ton sourire et répétais : tant mieux. Ah ! que l'apaisement de ton cœur pacifique Nous fait honte, o Jacquard, ô vrai sage, homme antique, A nous, poètes vains, dont l'étoile des soirs Entend les petits vers et les grands désespoirs, Et qui sommes toujours près d'imputer à crime A l'univers distrait le revers d'une rime. Je crois te voir d'ici, lorsque rempli de jours, De ton humble jardin parcourant les détours, On t'eût pris, souriant sous ta couronne blanche, Pour un frère anobli d'Ampère et de Ballanche, Chéri par les enfants qu'attirait ta douceur, De ta vieille servante ayant fait une sœur. Je converse avec toi : tantôt ta main tremblante Échenille un poirier ou relève une plante ; Tu carresses tes fleurs, tu t'assieds au soleil ; A ta calme vertu je demande conseil,