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336 VICTOR DE LAPÃUDE. 1852), mais aussi, malheureusement, toutes ces exagérations de polémique auxquelles certains défenseurs de l'Eglise nous ont depuis trop longtemps habitués. Nous en sommes venus à ce point que l'orthodoxie qui ne revêt pas un petit air de paradoxe nous semble fade. Or, dans tout paradoxe bien analysé, nous .trouverez ces trois ingrédients : un peu de vérité, un peu de scepticisme et beaucoup de personnalité. Nous aimons le côté excessif des choses, non par l'amour de ces choses elles- mêmes, mais, je le crains bien , par amour du vain bruit, par amour de nous-mêmes. Ah ! que nous sommes loin du XVIIe siècle, du grand siècle ! on combattait alors pour le triomphe de la vérité seule , et dans ce but on s'efforçait de lui concilier les esprits; on voulait la faire aimer, tandis qu'aujourd'hui on se contenterait de la faire craindre. Celui- là est suspect au premier qui veut être raisonnable et me- suré. De peur de passer pour philosophe ou gallican , on se résignera au rôle de derviche hurleur. L'important est d'éton- ner même ses adversaires. Demandez plutôt à VUnivers. Cette exagération, cette horreur de ce qui est sage et sensé; me paraît, du reste, le vice fondamental de toute la littérature moderne. C'est à qui enflera sa pensée, surfera ses sensations. L'imagination ne colore plus, elle grossit. On pense avec ses nerfs. La plus grande injure dont vous puissiez vous rendre coupable envers un poète, n'est-ce pas de lui laisser soupçon- ner qu'il ne sent pas autrement que tout le monde? Son orgueil, son plus grand bonheur, n'est-ce pas de s'imaginer qu'il est un être à part, qu'il possède une faculté de s'émou- voir inconnue des autres hommes? Celte fièvre chaude, que nous prenons pour de l'inspiration, nos immortels devanciers, nos pères dans la poésie, s'en défiaient pourtant comme d'un danger. « 11 faut, dit La Bruyère, chercher seulement à penser juste, sans vouloir amener les autres à notre goût. » Quel amour désintéressé du vrai ! et il ajoute plus loin : « il