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62 LES TOURISTES A ROME. Buonarotti, a toute l'élégance de la renaissance, mais est entièrement privé de sentiment chrétien. Cette absence d'idée religieuse se fait sentir dans l'immense tableau du jugement dernier. Je n'ai jamais compris comment des âmes chrétiennes pouvaient être impressionnées parla fresque en question. La barque de Caron, en bas et sur le premier plan, semble protester contre les dogmes du christia- nisme. Je ne peux donc m'expliquer certaines émotions que par des opinions préconçues, et auxquelles on se fait une obligation de demeurer fidèles. Au reste, Sigalon (1) écrivant à un de ses ami» quelque temps avant sa mort, exprimait ainsi sa manière de voir : « La fresque de la chapelle sixtine est « moitié une œuvre d'art, moitié une caricature. Il est évi- « dent que ces emblèmes qui dépassent quelquefois les limites « du ridicule, ces poses grotesques et obscènes, indiquent « clairement la lassitude du sujet el la nécessité de rentrer « dans l'actualité pour achever l'oeuvre, au moyen 'une « inspiration factice. Ces hommes qui grimacent, ces figurés « qui se tordent, ce sont des ennemis, des critiques, des en- c vieux, auxquels Michel-Ange a imposé la vengeance de e « ses pinceaux.... Michel-Ange a commencé un tableau, il « a signé un pamphlet. » J'éprouve une certaine satisfaction en citant l'opinion de Sigalon, car on pourrait taxer ma critique de témérité. Mais elle porte moins sur Michel-Ange que sur la pauvre appré- ciation de son génie, par des gens incapables de formuler un jugement, el qui ont pris leurs idées dans le cerveau de leur cicérone. Combien Rome est, en général, peu comprise par cette masse de désœuvrés qui voyagent pour se désennuyer, et non (i) Sigalon, de Nîmes, peintre distingué, a fait la copie du Jugement der- nier. Elle orne une des salles de l'école des Beaux-Arts, à Paris.