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                    BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.                      427
  soutenir que la fantaisie d'Alcibiade rentre dans la manière de
 M. Alfred de Musset. M. de Laprade pourrait aussi signer le
 Chant du Crapaud et le Festin de Circé ; mais, dans les Épi-
 trex, M. Reynaud ne ressemble à personne ; c'est un domaine
 dont il a pris possession, non seulement en vertu du droit de
 premier occupant, mais en vertu du talent. Là , se retrouvent
 toutes les qualités qui le caractérisent, l'élégance aisée et fami-
 lière, la vérité dans la description, l'accent sincère, le ton naturel
 et ému.
    Je vois poindre , en outre, dans ces Épitres , ce qui manque
 surtout aux poésies de ce temps , les sentiments , les traits , le
 caractère , les habitudes de la vie moderne. Le monde de la civi-
 sation s'y réfléchit comme le monde de la nature. Nous sortons
 enfin de l'éternelle rêverie, le poète touche la terre , il aspire à
 se débarrasser des formules convenues. Une chose me frappe,
 quand je lis les poètes antiques , c'est que le monde où ils ont
vécu revit tout entier dans leurs vers ; avec Homère , Pindare ,
Anacréon, Horace, je pénètre dans le secret des civilisations
grecque et latine. Ils me font connaître non seulement les sen-
timents qui les agitent, mais jusqu'aux vulgarités domestiques
de la vie ancienne, jusqu'à la géographie de leur pays. Leur
poésie embrasse et ennoblit tout. Nous autres modernes, nous
 avons inventé la distinction du beau et de l'utile et créé deux
mondes de ce qui doit n'en faire qu'un. Notre poésie est de-
venue une sorte d'abstraction, à l'usage des lettrés. Étonnez-
vous , après cela, que ses chants n'intéressent que peu de monde.
S'il est une civilisation qui soit fertile en contrastes , qui possède
une physionomie distincte dans l'histoire , c'est la nôtre. Que de
sentiments divers et complexes, que de découvertes ! que de
révolutions ! Eh bien ! supposez un instant que notre civilisation
disparaisse , et que , pour la reconstruire, un érudit n'ait plus à
sa disposition que nos poètes échappés seuls au naufrage uni-
versel ? De bonne foi en viendrait-il à bout ? Pourrait-il, à l'aide
des Harmonies de Lamartine et dès Orientales de Victor Hugo ,
se figurer ce que nous avons pensé, ce que nous avons fait, où
nous avons vécu.. ? Je ne le crois pas; quelque chose manque