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272                ÉTUDE SUR BLAISE PASCAL.
pour régler sa vie, pour l'empêcher de la dissiper dans les plai-
sirs ; considéré, pour lui procurer des relations élevées, dont
le commerce formera son goût et stimulera son ardeur ; riche
enfin, pour pouvoir assurer au génie ces loisirs , cette liberté
d'esprit, sans lesquelles il ne peut rien produire, rien du moins
de grand et de suivi. Ce dernier bonheur est rarement échu aux
hommes supérieurs ; la plupart sont nés dans la pauvreté, et
ont été condamnés à user dans des anxiétés terribles, ou des
soins misérables, la meilleure partie de cette raison faite pour
éclairer les hommes, ou pour leur commander.
   Le second bonheur de Pascal fut d'avoir son père pour précep-
teur. 11 n'en reçut point, en effet, l'enseignement vulgaire , des
faits décousus, des préceptes obscurs qui chargent inutilement la
mémoire, et dont bientôt elle se débarrasse. Son père lui donna
la méthode qui devait le diriger ; il lui apprit à se former une
idée claire et exacte des choses, à lier ses pensées comme ses
observations ; il lui fit faire enfin ce travail préparatoire que
 d'ordinaire les hommes de génie sont obligés de faire seuls,
après avoir perdu bien du temps à des travaux sans suite, et à
des études sans direction.
   A peine formé, l'esprit du jeune Pascal se tourna vers les
sciences ; il avait alors dix ou onze ans. Les qualités scienti-
fiques devaient en lui se développer les premières : elles n'exi-
gent que de l'exactitude et de la pénétration ; mais l'art du
moraliste et celui de l'écrivain veulent quelque chose de plus,
l'expérience, dont le génie même n'est pas dispensé. 11 faut avoir
vécu, avoir éprouvé, réfléchi, joui, souffert pour pouvoir écrire;
ce sont les émotions de la vie qui, en remuant l'âme de l'écri-
 vain, la font vibrer, et en tirent des sons, des accords, de l'élo-
 quence. Comme aussi il faut avoir ressenti les passions, les joies,
les souffrances pour en connaître les effets et les juger dans les
 autres, suivi et examiné de près les esprits et les caractères pour
 démêler leurs nuances infinies, et fréquenté un peu les hommes
pour les juger.
    Tout, d'ailleurs, poussait Pascal vers les sciences ; son père,
 sous ses yeux, les cultivait avec ardeur ; dans la maison même