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UNE VISITE AU TOMBEAU DE JACQUARD. Et pourtant sans honneur tu gis sous ta croix noire, Ainsi qu'un mort vulgaire oublié dans ta gloire. Les ans ont effacé les lettres de ton nom , Ta croix tombe en poussière -, ali ! vengeons cet affront ! Peuple, élève un tombeau dont la magnificence Raconte son génie et ta reconnaissance î Mais alors une voix : Pourquoi te récrier ? Frère, laisse à Jacquard, laisse-lui son mûrier ! Quel marbre fastueux, quel fût orné d'acanthe Vaudrait ce vert symbole et cette ombre éloquente ? Vivant, il eût fait choix de ce riant cyprès ; Et ces plantes des champs qui croissent tout auprès, Ces mauves, ce mouron où le passereau vole, N'est-ce pas de ses jours la douce parabole ? Car si Jacquard fut grand, il fut plus simple encor ; , Que son humilité lui reste dans la mort, Qu'elle soit la leçon, la dernière harmonie Que nous laisse après lui sa mémoire bénie. Hommes, nous voulons tous être admirés ; il faut A notre vanité le siège le plus haut, Le premier rang, l'honneur, les profits, la fortune ; Nous avons le dégoût de la sphère commune ; Où le père a vécu le fils est à l'étroit -, Notre ambition même est érigée en droit. Au but qu'on s'est marqué toucher, quoiqu'il en coûte, S'y ruer en foulant les autres dans sa route, C'est faire son chemin ; mais toi, dans ta candeur, Tu l'ignoras toujours cette farouche ardeur, Ouvrier ingénu, figure débonnaire, Toi que j'aime encor plus que je ne te vénère ! Erudit sans étude et grand sans le savoir,. La vie à tes yeux fut ce qu'elle est, un devoir, Et non, comme pour nous, une olympique arène Où chaque ambition brûlante se déchaîne.