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ÉTUDE SUR BLAISE PASCAL. 385 au lieu d'un principe un fait, au lieu de la justice la néces- sité. Il est vrai qu'au fond ces idées sont plus vraies et mieux fondées que les anciennes, mais il y faut regarder de près, et pour les idées comme pour tout le reste, l'apparence est une partie de la force. La solution est claire et décisive, mais trop courte et trop rapide pour laisser à l'esprit le temps de s'y habituer; il est subjugué, il n'est pas persuadé; enfin Pascal pousse son doute avec tant de vigueur qu'on ne peut s'imaginer que ce ne soit là qu'une objection qu'il se réserve de résoudre; il l'expose avec tant d'éloquence qu'on est ému mal- gré soi, on croit voir les défaillances d'une âme épuisée, on croit ouïr les cris d'une raison troublée. Ou bien il mêle au doute une sorte d'ironie amère et superbe ; il est sûr de con- fondre l'intelligence humaine, il triomphe du désordre où il la jette, il est heureux de l'entraîner avec lui dans les abîmes. Aussi, de toute manière et en dépit des réclamations et des cer- tificats de religion des amis de Pascal, des austérités de sa vie, du but religieux des Pensées, des nombreux passages de foi, de solution, d'affirmation, le lecteur qui ferme le livre em- porte souvent une impression de scepticisme. Scepticisme, rationalisme et christianisme sont unis dans l'âme de Pascal, et y sont distincts tout à la fois ; ils ne s'y combattent proprement, ni ne s'y mêlent ; c'est comme un ta- bleau dont les couleurs ne sont pas fondues, quoiqu'elles soient destinées au même sujet, et jetées par le même maître. Il y a unité logique dans cette intelligence ; le fond est de la foi, de l'affirmation et de la mesure. 11 y a unité morale dans l'homme; sa vie laborieuse, modeste, sévère, religieuse, est conforme à ses opinions. Mais s'il y a unité morale et logique, il n'y a pas unité intellectuelle ; s'il y a unité d'opinions et de conduite, il n'y a pas unité d'impressions et de tendances, c'est-à -dire que nous retrouvons dans Pascal cette diversité et cette incohérence qui sont les caractères généraux de la nature humaine. Nous en sommes surpris, parce qu'ailleurs elles n'éclatent pas, quoi- qu'elles existent, que l'art les déguise, et les fond dans une pensée dominante ; tandis que dans cette^œuvre, d'où le travail 25