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370 ÉTUDE SUR BLAISE PASCAL. arrive à elles et les entraîne. Depuis Pascal, des sciences ont été créées, d'autres poussées à un point de perfection qui efface ses travaux ; le système général du monde a été renouvelé ; la civilisation a changé plusieurs fois de direction ; la société a subi vingt régimes et vingt maîtres différents; les traditions et les mœurs ont péri, des états même ont disparu, sans qu'au milieu de tant de révolutions contraires les Prmnnciales et les Pensées aient cessé d'être lues et admirées. La fortune de ces deux ouvrages fut d'ailleurs aussi différente que leur sujet et leur style. La gloire des Provinciales a été subite et bruyante comme celle des œuvres de parti, et depuis, en apparence du moins, elle n'a point baissé. Un commun sen- timent d'admiration semble réunir la postérité et son siècle. Boileau a dit d'elles « qu'elles étaient le premier chef-d'œuvre de la langue ; » Bossuet « qu'il voudrait les avoir faites ; » Voltaire « que Molière n'a rien de plus plaisant que les pre- mières, Bossuet rien de plus éloquent que les dernières; » Chateaubriand « qu'elles offrent le modèle de la plaisanterie la plus aimable et du raisonnement le plus fort, » et M. Ville- main « qu'elles sont le premier ouvrage où la langue ait paru fixée, et où elle ait pris tous les tours de l'éloquence. Néan- moins, pour dire la vérité, l'intérêt de circonstance qu'elles avaient est tombé, l'aridité naturelle du sujet un moment cou- verte a reparu, et toutes les grâces de ce style fin, délicat, en- joué, piquant ne suffisent pas à la faire oublier. On le9 lit une fois, mais en passant, pour l'acquit de sa conscience littéraire ; on les loue toujours, mais un peu sur la foi publique ; en un mot, l'admiration subsiste, mais l'enthousiasme est passé. Il en est tout autrement des Pensées. L'existence n'en était pas connue quand Pascal mourut ; ses amis ne les publièrent pas tout de suite, et l'apparition de ce livre ne souleva ni orages ni acclamations. L'estime publique s'y attacha à cause du nom de leur auteur ; le nombre des lecteurs s'accrut promptement, et les Pensées montèrent rapidement au rang qu'elles méritaient, le premier parmi les ouvrages éloquents et profonds, mais sans brigues et sans bruit, obscurément pour ainsi dire, mais aussi