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ÉTUDE SUR BLAISE PASCAL. 369 l'ont appelé hérétique ; Voltaire et Condorcet l'ont traité de fou ; M. de Maistre a repris la proposition des Jésuites, et M. Cousin a découvert récemment qu'il était sceptique. Mais ces variations, bornées à tel ou tel groupe de penseurs, n'ont point affecté l'opi- nion. Instrument passager et non chef du Jansénisme, il n'a point eu le sort des chefs ou fondateurs de parti, de secte ou « d'école, qui paraissent ou disparaissent, s'élèvent ou s'abîment suivant les fluctuations de l'esprit humain. La partie humaine et éternelle de ses œuvres l'a soutenu, l'indépendance de son es- prit l'a sauvé. Quelques parties seulement de sa renommée ont fléchi, ou plutôt changé d'aspect. La physionomie du génie est comme celle de l'univers, elle varie suivant le point duquel on la consi- dère. Les travaux scientifiques de Pascal aujourd'hui n'attirent plus l'attention; le temps les a portés derrière nous, il faut se retourner pour les juger. Dans les sciences, le progrès est éter- nel et le but recule sans cesse ; une invention est couverte par une autre ; les siècles, à mesure qu'ils avancent, étendent leur ombre sur les œuvres du génie, et, sans les détruire, en déro- bent la vue. Les seules gloires qui restent toujours visibles sont celles des hommes qui ont créé ou renouvelé les sciences ou les méthodes, comme les Galilée, les Nevrton, les Kepler, les Cuvier, les Bacon, les Descartes, parce que chaque découverte faite après eux dé- rive d'eux et les rappelle. Mais Pascal n'a rien fait de pareil, il n'a rien proprement créé, quoiqu'il ait tout amélioré. H n'a pas concentré ses forces sur un point, il les a dispersées sur tous, il a laissé dans toutes les directions de la science des traces lumineuses, mais, faute de priorité ou d'ensemble, aujourd'hui cachées et obscurcies. Dans les lettres, au contraire, le but, qui est le beau, étant matière de sentiment plutôt que de raisonnement, est tout de * suite fixé et tout de suite aperçu. Les lettres ne forment pas un point immuable au milieu des variations humaines, mais elles varient moins que tout le reste. Ce n'est que quand l'es- prit humain a été transformé tout entier que le mouvement 24