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VICTOR DE LAPRADE. 337 n'y a qu'une expression juste pour une chose. » Toute la théo- rie de l'art classique est là . Aussi, chaque écrivain du grand siècle vise moins à reproduire l'idéal particulier qui est en lui, que l'idéal de l'homme en général , il poursuit l'exemplaire du beau abstrait par-delà l'exemplaire fugitif qu'il a entrevu dans son propre esprit. Ce qu'il fuit avant tout, c'est l'ex- trême. Le ne quid nimis est sa devise. Voilà pourquoi toutes les œuvres classiques sont empreintes d'un calme et d'une bonne foi qui commandent le respect, et d'un caractère géné- ral qui les empêche de vieillir. C'est un précepte que Platon donne à l'homme dans sa République, de se rendre d'abord maître de lui-même avant d'agir, de lier ensemble tous les éléments qui le composent, afin de former un tout bien concerté ; et il me semble que c'est surtout au poêle que s'adresse un tel conseil. Je voudrais le voir celui qui serait vraiment digne de ce nom, commencer son œuvre par cet examen de conscience que prescrivait Pylha- gore. II s'efforcerait démettre de l'ordre et de l'équilibre dans son esprit, il se constituerait dans son for intérieur le juge im- partial de ses opinions et de ses sentiments, sans permettre à ses propres passions et aux passions d'aulrui d'intervenir et de troubler sa sérénité; car le poète n'est ni un devin, ni un prophète, ni une machine à sensations, ni une sorte d'aigrefin mystique, un presbyte dans l'ordre moral; si j'avais à le définir, je l'appelerais : une conscience ornée, et je vou- drais pour tout éloge lui appliquer ce mot de Shakspeare, à propos de Brutus : les éléments de son être étaient, si heureu- sement combinés, que la nature peut se lever et dire : voilà un homme. Je ne puis pas non plus m'empêcher de remarquer com- bien, dans les Poèmes de la seconde série, l'horizon de M. de Laprade s'est rétréci. La Cité de Dieu, c'est-à -dire, l'Eglise triomphante, reste sans rapport aucun avec la Cité des hom- 22