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322                        PÉ10P0NÈSE.
 Alors les symptômes menaçants d'une guerre civile et religieuse
 se manifestèrent : les populations chassaient et massacraient les
 gendarmes et les agents de l'autorité envoyés pour se saisir de
 Christophore. Celui-ci s'effaçait quelques jours, se cachait dans
 les chaumières, et reparaissait soudain aux yeux de ses disciples
 émerveillés, plus fort et plus écouté qu'auparavant. Il fallait en
 finir, et cependant éviter des collisions sanglantes qui auraient
pu engendrer une conflagration générale. Le général Colocotroni
fut envoyé dans le Péloponèse avec pleins pouvoirs et une petite
armée. La sagesse du roi, la prudence et l'habileté du général
remplirent cette tâche difficile. Christophore, toujours sur le point
d'être saisi, s'échappait sans cesse, grâce au fanatisme des cam-
pagnes. A chaque instant il était à craindre que la patience du
général ne fût poussée à bout et qu'il ne sévît militairement
contre les révoltés. Heureusement il n'en fut rien ; Christophore
fut un jour surpris au moment où il s'y attendait le moins, et
enlevé précipitamment du sein de ses disciples. Ceux-ci, effrayés
de cette nouvelle et voyant le thaumaturge enchaîné, lui deman-
dèrent en vain d'opérer le miracle promis et de rompre sesliens ;
le prisonnier fut conduit auPirée et jeté en prison. Les popula-
tions, convaincues de sa fourberie par son impuissance et redou-
tant les suites de leur rébellion, rentrèrent aussitôt dans l'ordre.
   Dans la soirée, la femme de mon hôte revint des champs, por-
tant sur la tête un fardeau de branches sèches. Je fus frappé
de la noblesse et de la grâce de sa physionomie. Ses longs che-
veux descendaient en désordre sur sa tunique de laine blanche ;
son front un peu bas, d'un dessin pur et classique, s'unissait
au nez par une courbe insensible ; la lèvre supérieure, courte 6t
un peu relevée, laissait la bouche légèrement enfr'ouverte ; son
menton avancé donnait à son visage de la force et de la grandeur.
Cette figure, empreinte du type antique, me rappela aussitôt la
tête d'une superbe cariatide que j'avais remarquée dans l'Acro-
pole d'Athènes, dorée par le soleil, rehaussée des veines bleues
du marbre, et soutenant, aidée de ses bras gracieusement re-
levés, un angle du fronton du temple d'Erechtée au Parthénbn.
                                            E. YEMENIZ.