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124 DISCOURS DE M. EICHHOFF. cœur recueillera tant de larmes, saignera de tant de blessu- res, s'ouvrira à tant d'espérances, si ce n'est celui du poète lui-même, type de l'humanité pécheresse et repentante, qui cherche à ressaisir, à travers mille efforts, l'immortelle au- réole qu'elle apporta des deux ? Voyez cette figure grave et recueillie, toute pénétrée de sa mission auguste, se dessiner dès le début de l'œuvre dans ces paroles solennelles et lou- chantes : « Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure; car j'avais perdu la bonne voie. Ah! quelle pénible tâche de dire combien était sauvage et âpre et épaisse cette forêt dont le souvenir renouvelle mon effroi ! Elle est si amère que la mort ne l'est guère davantage. Mais, pour dire le bien que j'y trouvai, je parlerai de tout ce que j'y ai vu. » Début unique, original, empreint d'une tristesse sympa- thique qui s'empare forcément du lecteur, et lui fait com- prendre aussitôt la profondeur et l'étendue d'une œuvre où doit se refléter l'histoire de l'âme humaine et de ses immor- telles destinées. Dante signale avec un saint respect cette vision prophétique et terrible à laquelle il va assister comme coryphée de l'humanité souffrante, comme élu par une grâce spéciale pour dévoiler à ses frères égarés le spectacle des peines et des joies éternelles. Quel poète de l'antiquité avait jamais conçu un pareil plan, et renversé d'un coup toutes les barrières du temps, de l'espace, de la terre, pour plonger au hasard dans les champs dé l'infini ? Au hasard, j'ai tort de le dire, car Dante a pour guides son génie et son cœur : son génie, qui lui inspire sa conception immense, et lui donne la force d'en atteindre le but en peuplant de mille images variées et saisissantes le cadre vaporeux de ces mondes inac- cessibles à tout regard mortel; son cœur, qui le fait compatir, avec un entraînement irrésistible, à toutes les misères, les épreuves, les délices de ces âmes fraternelles qui se reflètent