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PÉLOPONÈSE. 113 de le contempler quelques instants. Cinq ou six hommes étaient rangés autour d'une table toute basse, s'élevant à peine au-dessus du plancher, les uns se passant le verre qui servait pour tous, les autres demi-couchés.en arrière appuyés sur le coude, tous calmes et nonchalants comme des gens dont la vie s'écoule sans excès de peines comme sans excès de plaisirs. Au milieu d'eux, une femme tenait dans ses bras un enfant à peine sorti de la mammelle. Celui-ci essayait vainement, avec ses deux petites mains, de porter un grand verre vide à ses lèvres ; il criait, s'impatientait, arrachait à sa mère le morceau de pain qu'elle allait mettre dans sa bouche ; un grand chien se tenait par derrière, appuyant sa tête avide sur l'épaule de sa maîtresse, et d'un coup de dent furtif , dérobait le morceau de pain aux mains de l'enfant ébahi. Tout cela formait une scène d'intérieur, fraîche, naïve, inattendue ; j'hésitais à l'interrompre par mon entrée. Je m'introduisis enfin, précédé de mon guide. Deux mots suffirent pour expliquer au chef de la famille le but de notre visite. Il vint à moi et me tendit une main en posant l'autre sur son cœur, comme pour dire qu'il bénissait le destin qui m'avait fait frapper à sa porte, et que son cœur m'était ou- vert comme sa maison; sa femme , son fils et ses convives me firent ensuite tour à tour les souhaits de bienvenue. Après une journée pleine de fatigues, écoulée dans des solitudes fécondes en tristes pensées, on est heureux de trouver, le soir, une aussi cordiale hospitalité; elle délasse l'esprit et le cœur comme le repos délasse le corps. Je.m'assis au milieu d'eux et me mêlai à leur entretien. J'interrogeais le vieux démarque sur les res- sources de son village, sur l'étendue de son territoire ; le fils, sur la chasse et sur les chemins des montagnes ; je demandais à la mère le nom de son enfant, son âge ; je lui disais combien je le trouvais fort et beau. Je m'aperçus cependant qu'elle ac- cueillait mes compliments avec froideur ; mon regard, en allant d'elle à son fils, rencontrait le sien préoccupé, inquiet ; quand je voulus m'approcher et passer ma main sur la tête de l'en- fant encore presque toute chauve, elle bondit comme une lionne à qui ses petits vont échapper. Mon étonnement fut vif et re- 8