Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
 112                        PÉLOPONÈSE.
  leurs naseaux s'enflent, leur jarret se tend et se durcit comme
  de l'acier. Ils voient d'avance où leur fer doit se poser ; à ces
  endroits-là, le rocher porte l'empreinte d'un seul pied, chaque
  cheval qui a passé ayant frappé le sol à la même place ; il leur
 faut faire de si puissants efforts pour se hisser d'un roc à l'au-
  tre , que le plus solide cavalier serait désarçonné s'il ne se
 cramponnait fortement au cou de sa monture.
     Nous atteignîmes enfin le sommet ; il était temps d'y arriver,
 car la nuit était close et la lune, qui se levait en face, semblait
 se hâter d'atteindre ces cimes désertes en même temps que nous.
 Après avoir descendu quelques étages de rochers , nous nous
 trouvâmes dans la longue et étroite plaine de Tripoli. Les hautes
 montagnes qui l'entourent de toutes parts promenaient en ce
 moment leurs ombres bizarres à leurs pieds. Le petit lac triste
 et romantique de Mezzovo, creusé dans le sombre repli d'un
 vallon, réfléchissait les clartés confuses de la nuit ; des bou-
 quets d'arbres, semés çà et là, grandis par les ténèbres, semblaient
 des forêts. Lorsque nous nous arrêtâmes pour laisser souffler
 nos chevaux épuisés , ce paysage silencieux , rempli de reflets,
 d'ombres et de clartés diffuses, me serra le cœur. Je crus
 entrer dans une région qui n'était plus celle des hommes ; je
 prêtai l'oreille comme pour écouter si le bruit du monde avait
cessé derrière moi; je n'entendis que l'écho des pierres, dé-
tachées tout à l'heure sous nos pas, roulant encore d'abîme en
abîme.
    Nous allâmes chercher un gîte au petit village de Sténo. Mon
guide s'arrêta devant la maison du démarque. La porte en
était ouverte, comme dans l'espoir d'un hôte attendu ; sûrs
qu'elle ne se refermerait pas pour nous , nous entrâmes
sans façon. La famille était en ce moment réunie pour le repas
du soir, et nous montâmes jusqu'à la salle où elle se tenait,
sans que personne se doutât de notre arrivée. La porte de cette
salle était assez délabrée pour qu'il fût aisé de voir du dehors
ce qui se passait au dedans. Le tableau qui s'offrit à ma vue
était si gracieux et si simple d'attitudes , si naturel et si varié
de physionomies, que je ne pus m'empêcher, avant d'entrer,