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333 e nom. Le caractère d'Euée semble formé de celui d'A- chille et de celui d'Ulysse réunis sous l'influence d'un sen- timent plus élevé que celui qui leur avait donné naissance. Achille est toujours en fureur ; ses colères mettent les Grecs en péril, et causent, outre mille autres morts, celle de son ami Patrocle ; aussi, en lisant l'œuvre extraordinaire où Shakespeare a raconté, à sa façon, la guerre de Troie, trouve- t-on quelque raison aux ironies dontThersite poursuit la va- leur brutale du fils de Pelée et de ses compagnons. Enée est vaillant; mais son courage est tempéré par la piété. C'est Turnus qui joue dans l'Enéïde le rôle violent et irascible d'Achille ; mais Turnus est vaincu par Enée. Qu'il y a loin aussi de la prudence d'Ulysse à la piété du fils d'Anchise ! La modération du premier vient de ses défiances et participe de ses ruses; celle du second a son siège dans les plus hautes ré- gions de l'ame, et sa source dans le respect des dieux. Qu'est-ce que la piété d'Enée? cette vertu ne consiste point dans une aveugle soumission, dans des pratiques arides, mais, au contraire, dans l'agrandissement que donne à l'es- prit de l'homme la conscience des lois divines. Montrer jus- qu'où peut aller la puissance et l'audace du génie humain, voilà ce qui fait le héros. Savoir où commence la volonté et le pouvoir du ciel, s'incliner devant sa loi, y soumettre son cœur, disposer sa raison à mieux comprendre Dieu pour lui mieux obéir, voilà la véritable piété. Entre l'héroïsme et la piété, môme compris dans ces termes, il est difficile d'établir un juste équilibre; fut-il aisé de les accorder ensemble, il ne le serait pas de soutenir, au milieu d'une action semblable à celle de l'Iliade, un caractère formé de leur fusion. Aussi le personnage d'Enée donne-t-il aux combats des six der- niers livres de l'épopée latine je ne sais quel aspect paci- fique qui me paraît avoir plus d'inconvénients que d'origina- lité ; mais, dans les six premiers livres, il se prête admirable-