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295 passions du doute, accomplir son pèlerinage aux montagnes? La nature ne respire-t-elle pas en elles plus fortement ? En elles les cœurs déchirés et les esprits malades ne trouvent-ils pas la paix et une sorte d'espérance? J'ai toujours remarqué qu'il y avait deux espèces d'hom- mes qui naissaient volontiers aux pieds des montagnes : les architectes et les poètes. Lorsque la société est puissante, les premiers empruntent aux arêtes de l'architecture divine, les formes de celle qu'ils accommodent aux besoins de l'homme. Lorsque la société est défaillante, les seconds demandent aux têtes virginales des monts, aux forêts qui couvrent leurs flancs, aux lacs qui baignent leurs pieds, des images et des voix pour bercer la tristesse du genre humain, ou pour rele- ver son courage. Quel tableau on présenterait, si on réu- nissait les noms de tous les grands artistes que les Alpes ont nourris de leurs fécondes mamelles, chez tous les peuples qui s'abritent sous leurs croupes puissantes ! Qui retrouvera les titres de parenté de cette glorieuse famille? Sans sortir de la Lombardie, on peut en prendre une idée rapide. Vérone conserve encore son amphithéâtre, l'un des plusbeaux morceaux que l'antiquité nous ait transmis, et qui fut, sans doute, élevé, au temps de la république, par un artiste indi- gène. Plus tard, la même ville donna naissance à Vitruve. qui traduisit dans ses plus grandes constructions tout le côté organisateur du génie d'Auguste, et qui permit à cet empe- reur de dire en mourant qu'il avait trouvé Rome de brique et qu'il la laissait de marbre. C'est encore aux mêmes lieux que s'épanouit la grande architecture du seizième siècle. Si, au milieu des Apennins, Florence eût son Brunelleschi au quin- zième siècle, Vérone inaugura le siècle suivant par le style plein de délicatesse de Fra-Gioconde et par les puissantes constructions de Sammicheli. A l'ouest, le dôme de Milan, où les artistes et les traditions de l'Allemagne se perpé-