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                              3ii
 conquête de la civilisation, alors la poésie est pour eux dans
 les découvertes qu'ils font chaque jour, dans les arts qu'ils
 inventent, dans les sciences mêmes qu'ils commencent, dans
 les actions des hommes qui les arrachent à la domination des
forces matérielles, au sommeil de l'oisiveté, au repos du foyer,
pour les précipiter dans des aventures et dans des prospérités
dont les premières jouissances étonnent leurs sens, dont la
fin leur demeure encore cachée et merveilleuse. Mais lors-
qu'ils sont plongés dans la civilisation, lorsqu'ils en ont
connu les raffinements, les procédés, les limites, lorsqu'ils
ont mesuré tous les coins de ce fini qu'ils ont composé par
leur labeur et à leur image, il leur arrive de perdre le sen-
timent de l'infini avec lequel la poésie et la vie s'en vont en
même temps ; alors ils retournent à la nature, comme à la
source de ces vagues inspirations, de ces saintes espérances,
de ces mystères divins de l'intelligence et du cœur, sans les-
quels tout, dans ce monde, est glacé pour le plus humble
des hommes aussi bien que pour le plus sublime des poètes.
Il y a donc, on peut le dire, entre la civilisation et la na-
ture , aux deux extrémités de l'existence des nations, un
échange qui entretient le feu sacré de l'art.
   Pendant la première époque l'homme lutte contre la ter-
reur que lui inspirent encore les forces secrètes de la na-
ture, et il transporte le merveilleux, qui est l'expression de
ce sentiment, dans l'histoire de ses propres conquêtes, dans
le chant triomphal de sa délivrance. Durant la seconde, au
contraire, il tente d'élever son esprit au-dessus des œu-
vres finies et des idées positives de la civilisation, pour re-
trouver ce qu'il y a de profond et d'infini dans la nature.
Entre ces deux époques, se placent ordinairement de grands
systèmes de croyances ou d'opinions, qui, sous les noms de
religion ou de philosophie, et souvent sous ces deux noms
successivement, s'efforcent d'arracher l'homme à la nature