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231 ïl appropria souvent cette forme nerveuse à la philosophie stoïcienne dont elle semblait être l'expression naturelle ; lorsqu'il en revêtit les idées d'Epicure, il leur donna, grâce à elle, je ne sais quelle vigueur secrète qui en changea le sens môme, et il mêla ainsi à leurs lassitudes et à leurs amorces un sentiment profond et puissant de la vie, qu'on ne rencontre point, à un degré aussi haut, chez les poètes les plus énergiques de f âge moderne. Le platonicien Yirgile n'a pas été plus épargné par les réactions de notre temps. On a cru l'avoir condamné quand on a eu dit qu'il avait imité ses Eglogues de Théocrite, et son Enéide d'Homère ; pour les Géorgiques, après les avoir comparées à l'un des poèmes d'Hésiode, on a fait encore ob- server que le sujet en était sec, et mal distribué, et, qu'à l'exception de quelques épisodes tissés sur des lieux com- muns, on n'y trouvait que de beaux vers appartenant au genre descriptif, le plus humble de tous. J'oserai dire que les corps chargés de la gloire de ces grands génies les ont mal défendus. On a trop souvent soute- nu, par une dispute de mots, un combat engagé au nom de sen- timents et d'idées dont il aurait fallu demander un compte sérieux-, on a beaucoup insisté sur les particularités, on a vanté d'admirables hémistiches, on a cité des pensées fine- ment rendues, des sensations vivement interprétées; et on a cru accabler par cette guerre de détail un ennemi qu'il fal- lait vaincre sur son propre terrain et par ses propres armes. Car, depuis le dernier siècle, l'esprit humain a changé sa mé- thode; las de s'imposer la loi mobile et contingente des faits, il songe enfin à les soumettre au gouvernement éternel et né- cessaire de ses idées. Ce n'est donc point de la versification de Virgile, mais de sa poésie qu'il faut parler aujourd'hui ; c'est par l'esprit même du poète qu'il faut éclairer sa forme et la justifier.