Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                               46
l'un l'autre; et, pour cela, l'expression vraie et naturelle ne
vaut plus rien. Ils croiraient s'abaisser s'ils pensaient ce qu'un
autre a pu penser comme eux. Ils travaillent leur style, le
rendent maniéré, prétentieux, car le style n'est jamais plus
mauvais que quand on néglige tout pour lui ; de même qu'on
qu'on ne se tient jamais plus mal que quand on ne s'occupe
que de son maintien. Eh! certes, ayez d'abord une idée, et
puis laissez la couler dans son expression naturelle. Yotre
style vaudra d'autant mieux, qu'il prendra plus fidèlement
la forme de votre conception, qu'il sera comme un voile sou-
ple et moelleux superposé à la pensée, en embrassant étroi-
tement les contours, en accusant toutes les formes. Si, au
contraire, le style est une deces panoplies de nos musées, qu'on
ajuste pièce à pièce, et qui se tiennent debout toutes seules
sans qu'il y ait personne dessous, il sera raide, disgracieux,
il n'aura aucune action, aucune vie.
    On n'estime dans les autres que ce qu'on voudrait posséder
 soi-même. Quelles sont les qualités du poète qui exciteront
les applaudissements d'un pareil public ? Ce n'est ni la vérité
 des caractères, ni la beauté du plan ; aussi les poètes se dis-
 penseront-ils d'un travail dont on leur sait peu de gré. Nous
 ne trouverons dans leurs ouvrages ni combinaison de plan,
 ni création de caractères, rien, en un mot, de ce qui fait les
 grands poètes : des pensées fines, d'ingénieuses alliances de
 mots, des vers concentrés, des difficultés vaincues, des acros-
 tiches, des centons, voilà ce qui arrache les applaudisse-
 ments, et ce que les poètes composent de préférence. La
 poésie la plus soutenue, la plus sérieuse, celle qui a la pré-
 tention d'enfanter des ouvrages de longue haleine se tourne
vers le genre didactique : comme Denysà Corinthe, de reine
 elle se fait pédagogue, ou bien elle imagine le genre descrip-
 tif, semblable, dit M. Michaud, à ces dieux de la fable qui fu-
 rent chassés de l'Olympe, où ils présidaient à l'ordre de l'uni-
 vers, et qui se réfugièrent en Egypte dans les plantes et dans
 les animaux :