page suivante »
392 produisent sousla forme du mythe, chacune de ces pensées s'in- carne dans une image. Les couleurs splendides abondent dans sa phrase ; jamais l'idée ne s'y échappe en formule abstraite et nue, toujours elle est voilée d'une riche métaphore qui la dessine et la complète. C'est dans la prose surtout que règne cetle remarquable puissance d'écrivain : Ahasvérus est à la fois l'œuvre la plus vasle et la mieux ciselée de M. Quinet ; c'est là que son esprit a déployé les plus larges aîles, et que sa main a semé de perles plus pures le tissu le plus souple et le plus varié. Ahasvérus est une œuvre pleine d'audace et d'originalité, un poème d'une forme inconnue et sans analogue dans notre lit— léralure. L'inspiration allemande s'y fait senlir ; si ce livre n'est pas seul de sa famille, il a une amnilé lointaine avec Faust. Le drame est gigantesque, il a pour scène l'espace; les personnages ne sont rien moins que Dieu, l'homme et l'uni- vers; l'univers séparé de Dieu et hostile à l'homme, l'homme rebelle à Dieu ; c'est l'éternel problème de l'esprit et de la matière, du fini et de l'infini posés en ennemis vis-à -vis l'un de l'autre el poursuivant, à travers les phases immobiles du temps, leur immuable réunion dans l'éternité. Les astres, l'océan, les empires et les fleuves se racontent, dans ce grand dialogue, leurs douleurs et leurs espérances ; Babylone et Memphis, Athènes, Rome et Jérusalem nous dévoilent leur part de travail au grand œuvre de l'enfantement religieux et social. L'homme éternel personnifié dans l'errant Ahasvérus chanle ses misères et ses désirs ; il traverse tous les climats et toutes les civilisations ; les déserts se peuplent, les cités s'effacent le long de sa roule; frappé de la malédiction du Dieu qu'il a renié par orgueil, il poursuit par toutes les voies sa ré- concilialion avec l'idéal. C'est dans cet acteur que réside l'unité du poème. Ahasvérus est à la fois l'humanité et l'homme ; les siècles traversent son cœur sans emporter une de ses passions, et cependant il se transforme chaque jour, tour à tour cavalier haletant sur les sables d'Jdumée et dans les steppes de l'U-