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produisent sousla forme du mythe, chacune de ces pensées s'in-
carne dans une image. Les couleurs splendides abondent dans
sa phrase ; jamais l'idée ne s'y échappe en formule abstraite
et nue, toujours elle est voilée d'une riche métaphore qui la
dessine et la complète. C'est dans la prose surtout que règne
cetle remarquable puissance d'écrivain : Ahasvérus est à la
fois l'œuvre la plus vasle et la mieux ciselée de M. Quinet ;
c'est là que son esprit a déployé les plus larges aîles, et que
sa main a semé de perles plus pures le tissu le plus souple et
le plus varié.
   Ahasvérus est une œuvre pleine d'audace et d'originalité, un
poème d'une forme inconnue et sans analogue dans notre lit—
léralure. L'inspiration allemande s'y fait senlir ; si ce livre
n'est pas seul de sa famille, il a une amnilé lointaine avec
Faust. Le drame est gigantesque, il a pour scène l'espace; les
personnages ne sont rien moins que Dieu, l'homme et l'uni-
vers; l'univers séparé de Dieu et hostile à l'homme, l'homme
rebelle à Dieu ; c'est l'éternel problème de l'esprit et de la
matière, du fini et de l'infini posés en ennemis vis-à-vis l'un
de l'autre el poursuivant, à travers les phases immobiles du
temps, leur immuable réunion dans l'éternité. Les astres,
l'océan, les empires et les fleuves se racontent, dans ce grand
dialogue, leurs douleurs et leurs espérances ; Babylone et
Memphis, Athènes, Rome et Jérusalem nous dévoilent leur
part de travail au grand Å“uvre de l'enfantement religieux et
social. L'homme éternel personnifié dans l'errant Ahasvérus
chanle ses misères et ses désirs ; il traverse tous les climats
et toutes les civilisations ; les déserts se peuplent, les cités
s'effacent le long de sa roule; frappé de la malédiction du Dieu
qu'il a renié par orgueil, il poursuit par toutes les voies sa ré-
concilialion avec l'idéal. C'est dans cet acteur que réside l'unité
du poème. Ahasvérus est à la fois l'humanité et l'homme ; les
 siècles traversent son cœur sans emporter une de ses passions,
 et cependant il se transforme chaque jour, tour à tour cavalier
haletant sur les sables d'Jdumée et dans les steppes de l'U-