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L'ÉLIGIBLE. Très bien ! Si je leur promettais une justice de paix,
une salle de concert, des fontaines, des trottoirs en bitume, une
borne, la moindre des choses.
L'AMI INTIME. Ne promets rien de positif par écrit ; c'est imprudent.
L'ÉLIGIBLE. Si je mettais : « Ami d'une sage liberté, » ou :
" sincèrement attaché aux institutions que juillet nous a don-
nées ; » ou bien encore : « franchement constitutionnel. »
L'AMI INTIME. J'aimerais assez : « Franchement constitutionnel. »
C'est très élastique et parfaitement insignifiant ; mais j'ai en-
core mieux que cela. Ecris :
« Mes opinions politiques vous sont connues. »
L'ÉLIGIBLE. Ils sont plus avancés que moi.
L'AMI INTIME. « Yos convictions sont les miennes. » Ces phrases-
là sont excellentes, chaque opinion les prend pour soi.
L'ÉLIGIBLE. Si je leur mettais quelque chose de ronflant : « Je
« combattrai l'anarchie. » Ou : « Si on tentait de violer la
« charte.. »
L'AMI INTIME. Non : l'anarchie est usée; quant à la charte, personne
ne songe à la violer.
L'ÉLIGIBLE. C'est vrai. Ces pauvres chartes sont de bonnes filles ;
on en obtient tout ce qu'on veut, quand on sait les prendre.
L'AMI INTIME. N'oublions pas un article essentiel :
« La diminution des charges qui pèsent sur vous sera l'objet de
« ma constante sollicitude. »
L'ÉLIGIBLE. Si je m'engageais à ne pas accepter de fonctions sa-
lariées ?
L'AMI INTIME. Pas du tout. On peut t'offrir une place de préfet ou
déconseiller d'état. Tu n'irais sans doute pas la refuser ?
L'ÉLIGIBLE. AU fait, tu as raison.
L'AMI INTIME. Ecris :
« Je n'ai d'autre ambition que d'être utile à mon pays. »
L'ÉLIGIBLE. Mais, avec cette phrase, si j'accepte une place, les
électeurs seront en droit de m'adresser des reproches.
L'AMI INTIME. TU leur répondras que tu as accepté une places pour
être utile à ton pays, voilà tout.
L'ÉLIGIBLE. C'est juste.