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conviction que leur sujet a été mal choisi, et qu'une fois ce
sujet adopté ils en ont tiré cependant tout le parti possible.
    Nous assistons à une insurrection moréote, accidentée de
quelques situations que font naître l'amourde Lambro Canzoni,
le Giaour, et de Léila, sa fiancée. La jeune grecque est au pou-
voir d'un certain Hassan, le Gessler que vous connaissez.
L'amour de sa belle fait songer le Giaour aux malheurs de sa
patrie et il devient le libérateur de son pays , aidé de Riga,
Je guerrier poète , personnage heureusement amené , bien
conçu et q u i a été placé très-habilement au premier plan.
    Telle est la donnée du drame.
    Le premier devoir, la principale tâche d'un auteur de librelto
est de fournir au musicien un canevas convenablement coupé ,
le plus dramatique possible , et surtout des vers élastiques , de
ces vers que l'on puisse toujours sacrifier aux exigences d'une
note. Le librettiste indique la p i è c e , c'est le musicien qui
l'écrit, et nous sommes en cela du sentiment d'un critique cé-
1 èbre, lequel considère les bons vers dans un opéra comme un
écueil pour le maestro. Depuis que la musique est devenue,
dans un ouvrage lyrique , le point capital, ce qui n'est que ra-
tionnel, Quinault et les poètes de son époque, Corneille même,
seraient fort mal venus à écrire des opéras pour les Lully, les
Rameau modernes. Tout le monde connaît le nouveau Don
Juan tel qu'on le donne aujourd'hui à l'Académie royale de
musique ; Don Juan, son valet et ses maîtresses , voire même
le commandeur, ne s'expriment plus qu'en vers galamment
t o u r n é s , trop bien faits sans aucun doute, témoin cette caba-
lette, que Nourrit, ce pauvre Nourrit ! disait si bien ( o u i , il la
disait plu tôt qu'il ne la chantait), cabalette remplie d'une si suave
poésie que tout le monde applaudissait. Eh ! bien, croyez-vous
qu'à tout cela Mozard ait beaucoup gagné ? Et voilà justement
pourquoi nous considérons M. Scribe comme le maître du gen-
re ; nul mieux que lui ne connaît les ressources et le propre du
talent du compositeur qu'il doit servir; il lui indique les si-
 tuations et s'en repose sur lui du soin de les faire valoir, il lui
fournit à pleines mains de petits vers , bien innocents , bien
courts, bien élastiques, comme nous disions lout-à-1'heure, et
 au milieu desquels le maestro e s t a l'aise ; voilà le comble de
l'art du librettiste, art qui consiste à s'effacer au profit d'un
autre. Et ne croyez pas qu'il ne faille pour cet art que des
qualités négatives , c'est un talent réel qu'il faut avoir, c'est
une habileté de métier, qu'on n'acquiert pas à un premier
début. Bref, c'est le rôle modeste, mais méritant de ces ac-
compagnateurs qu'on remarque à peine au milieu des ap-
plaudissements qui accueillent les chanteurs, dont ils font
ressortir cependant les qualités elles défauts.