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5 voix fatiguée résiste et faiblit ; puis, il ne s'en rapporte plus à son propre jugement, il veut monter sur la scène de San-Carlo; la cour invoque des motifs politiques , et par deux fois elle refuse les pièces de début qu'il a choisies; le temps s'écoule, la résistance irrite Nourrit et commence son meurtre. Enfin, vientle jour de la tentative, l'artiste a réuni toutes ses forces pour ce moment décisif. L'humanité entière s'intéresse à ce grand combat de l'homme contre la nature. Nourrit sort vain- queur de l'arène, l'énormité de son triomphe l'accable : hélas! nos organisations sont tellement faibles , que la joie ainsi que le désespoir lesrenverse.Pauvre Nourrit! cette gloire t'assassine.... La trop brusque transition de l'abattement à l'ivresse avait bouleversé toute l'économie vitale de Nourrit, et son redou- blement de gloire ne l'avait rattaché à . la vie que pour lui ren- dre plus amère l'amertume des regrets. La vois de Nourrit s'en allait : tout avait donc, pour lui, pris fin dans ce monde, et nous comprenons sans peine celte mélancolie qui, de jour en jour, devenait plus noire. Nourrit méditait depuis longtemps un suicide , et si les bravos, parfois complaisants que lui accor- daient ses amis ne pouvaient l'aveugler sur la vérité, du moins est-il certain que, semblables à des boissons violentes, ils sou- tenaient artificiellement son existence fébrile. L'instant vint cependant où le charme fut brusquement dé- truit ; et nul ne saurait dire tous les déchirements de l'agonie mentale. Nourrit n'a pu s'arrêter à l'idée d'abdiquer une partie de sa gloire, il a voulu mourir tel qu'il avait vécu , étonnant et dra- matique. Nourrit était un de ces êtres malheureusement privilégiés , pour qui la force des émotions est un arrêt de mort. Il lui fal- lait un trône ou une tombe, et subitement il est passé de l'un à l'autre, sans révolte, sans interrègne. Cet homme ressemble aux grandes figures qui, de loin en loin, apparaissent aux épo- ques de la décadence des peuples, des religions ou de l'art ;