page suivante »
148 Je vis toute une histoire dans ces quelques paroles. . . . Quant à l'événement qui conduisait ces hommes à la po- tence, le voici : Un bâtiment faisait voile pour les Indes , les matelots mal- traités par leurs chefs, comme cela arrive très souvent sur mer , où le frein des lois n'est plus là pour contenir d'injustes volontés , se soulèvent, et jettent par dessus le bord les cada- vres sanglants de leurs officiers. Aux yeux de la société ces hommes étaient des assassins ; mais peut-être quelques âmes fières, indépendantes , et pénétrées du sentiment de la di- gnité humaine comprendront cet acte de féroce vengeance. Redoutant la justice dont ils avaient pris la place , ils mirent le cape sur Rio Janeiro dans le dessein de vendre la cargai- son , de s'en partager les bénéfices , et de se perdre au milieu de cette ville, habitée par des gens de toutes nations. Mais à peine sont-ils arrivés au port que leur crime est connu, et que l'autorité cherche le moyen de s'emparer d'eux ; avertis à temps, ils lèvent l'ancre , et gagnent le large. Leur signalement ayant été envoyé à tous les capitaines en croisière dans ces parages , ils n'osèrent aborder Saint-Thomas , où ils auraient trouvé un refuge. Repousses de la société, comme des forçats, ces hommes se livrèrent alors au brigandage et à la piraterie. Au bout de huit mois , cependant, harassés de fatigue, et entraînés par une force instinctive vers le sol de leur patrie , ils se hasardèrent à descendre sur les côtes du canton de Mas- sachussetes. On les saisit ; traînés à Boston , ils furent jugés et condamnés à mort. Voilà ce que nous apprîmes le jour de notre arrivée. . Le lendemain un soleil pâle et triste, tout à fait en harmo- nie avec la scène qu'il allait éclairer , répandit ses lueurs bla- fardes sur les eaux de la rade, dont on apercevait l'écume contre des rescifs de coquillages. Les matelots parurent l'un après l'autre sur le pont, parés