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149 comme des grenadiers de l'ancienne garde devant passer la revue de l'empereur. Ils avaient le chapeau ciré , rangé co- quettement sur le côté de la tête, les cheveux et la barbe peignés , la veste courte et dégagée qui faisait ressortir toute la force de leurs membres musculeux, enfin leur ceinture rouge complétait cette toilette , et ajoutait par son éclat et sa grâce à cet air de fierté et de souplesse qui a tant de séduc- tion auprès des femmes. Cependant un sentiment de rêverie et de chagrin était empreint sur leurs physionomies naturel- lement si vives et si brusques. En vain y en eût-il qui voulurent hasarder quelques quoli- bets ; on ne leur répondit que par un froid silence.— Allons, camarades, s'écria Charles, levons l'ancre, et filons ! puis s'é- lançant sur les bastingages^ il sauta sur le waff. Tous l'imitèrent. Je me rangeai près de lui. Il sentait l'eau - de-vie. — Oh! pensai-je , n'y a-t-il donc pas de consolation pour le souvenir qui lui ronge le cœur, qu'il en fasse ainsi raison par le tafia. Je les suivis, car moi aussi, je voulais savoir comment mouraient des hommes , qui, pendant tant d'années , avaient affronté la mort à laquelle ils ne pouvaient plus échapper. Nous marchions à grands pas , fendant la foule qui devenait plus épaisse et plus compacte à mesure que nous approchions du lieu du supplice. C'étaient des vieillards, des enfants, des femmes, de ces gens hideux et dégoûtants qui apparaissent au jour de proscription etde meurtre. Nos bras tombaient sur eux comme des marteaux sur l'enclume.On s'ouvrait devant nous, morbleu ! nous nous sentions ce jour-là , un sang bien chaud dans les veines. Douze poteaux de même hauteur étaient dressés les uns près des autres , sur un terrain montueux, et dominant la mer dont le clapotement se faisait entendre à peu de distance. Une treizième croix s'élevait au milieu, plus petite que les au- tres. Elle était destinée au mousse , jeune homme de 16 ans, que l'exemple sans doute avait entraîné dans la révolte de l'é-