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  faire manger pour lui prononcer après sa sentence, il dit : « Je ne
  veux point manger ; on m'a ordonné des pilules, j'ai besoin de
 me purger, il faut que je les aille prendre. » 11 mangea peu.
 Après on leur prononça leur sentence. Une chose si dure et si peu
 attendue ne fit cependant témoigner aucune surprise à M, Le
 Grand. Il fut ferme , et le combat qu'il souffrait en lui-même ne
 parut point au dehors. Quoiqu'on eût résolu de ne point lui donner
 la question, comme portait la sentence, on ne laissa pas de la
 lui présenter ; cela le toucha, mais ne lui lit rien faire qui le dé-
 mentît, etil défaisait déjà son pourpoint, quand on lui fit lever
 la main pour dire la vérité. Il persévéra, et dit qu'il n'avait plus
 rien à ajouter. Il mourut avec une grandeur de courage étonnante^
 ne s'amusa point à haranguer, salua seulement ceux qu'il re-
 connut aux fenêtres, se dépêcha, et quand le bourreau lui voulut
couper les cheveux, il lui ôta les ciseaux et les donna au frère
du jésuite. Il voulait qu'on ne lui en coupât qu'un peu par derrière;
il retira le reste en devant. Il ne voulut point qu'on le bandât. Il
avait les yeux ouverts quand on le frappa, et tenait le billot si
ferme qu'on eut de la peine a en retirer ses bras. On lui coupa
la tête du premier coup. M. Le Grand était plein de cœur; il ne
fut point ébranlé par un si grand revers. Au contraire, il avait
écrit de fort bon sens et même élégamment à la maréchale d'Emat,
sa mère.
    « On trouva la piste de toutes les menées de M. de Thou.
C'était le plus inquiet de tous les hommes. M. Le Grand l'avait
appelé son Inquiétude. Quand il sortait, il était quelquefois une
heure sans pouvoir déterminer où il irait. Par une ridicule affec-
tation de générosité , dès qu'un homme était disgracié, il le vou-
lait connaître, et lui allait faire offre de services. Etant conseiller,
ou maître des requêtes, il alla voir le cardinal de La Valette à
Mayence, et fut à la guerre, d'où il revint avec un bras cassé. On
se moqua de lui. Si M. Le Grand mourut en galant homme, M. de
Thou fit le cagot. Il composa des inscriptions pour mettre à des
offrandes qu'il faisait. Il fit des vœux, des fondations et autres
choses semblables. Il demandait sans cesse s'il n'y avait point de
vanité dans son humilité. Enfin il paillarda furieusement son vin,
comme on dit, etil semblait avec ses longs propos qu'il voulut