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 l'impunité de sa franchise!... Adieu le respect du roturier pour
 les armoiries et les titres de noblesse ; adieu l'hommage du vassal
 au seigneur! Celui-ci consentait à méconnaître , pendant un j o u r ,
 le principe des deux natures ; il renonçait à ses coups de canne ,
 à son droit de commise (1) : le manant était son égal !
    Toute la population se portait sur la route qui conduit au vil-
 lage de Saint-Denis. Bourgeois, manans et habitans encom-
 braient le chemin ; et de cette foule animée , bruyante, parlaient
 mille et mille cris confus , mille et mille interpellations véridi-
 ques ou calomniatrices, haineuses ou burlesques. C'était à grand
 peine que la circulation, souvent interceptée par des groupes
 d'acharnés interlocuteurs, pouvait être rétablie. Plus d'une fois ,
on voyait s'arrêter subitement par la même cause la longue file
des équipages ou des litières des nobles et des hauts bourgeois
qui prenaient plaisir à venir rire de la folie ou de la colère du
peuple. Alors les piétons s'empressaient de profiter de celte sta-
tion forcée pour assaillir de vérités et d'injures les têtes aristo-
crates. On s'assemblait à la litière de telle grande dame renom-
mée par le nombre de ses faiblesses ; on lui citait les uns après
les autres les noms de ses adorateurs. Elle agitait son éventail, et
le rouge qui couvrait ses joues empêchait de reconnaître, à tra-
vers son sourire, que le dépit lui faisait monter le sang au visage.
Puis , c'étaient des exactions , des actes de dureté qu'on reprochait
énergiquement à tel gros fermier-général ou à tel négociant.
Comme beaucoup de mensonges ou d'exagérations étaient sou
vent entremêlées aux vérités effrontément débitées, les person-
nages attaqués étaient quelquefois seuls à sentir aux émotions de
leur conscience ( s'il leur en restait une ) que les coups portaient
juste. Mais quand c'était autour du carrosse d'un mauvais con-
seiller-échevin, récemment annobli(2),ou d'un injuste gouverneur
   (1) Le droit de commise consistait dans la confiscation du domaine d'un indi-
vidu du tiers-état, au profit du seigneur qui prétendait avoir été insulté par
lui. Il fallait que, pour exercer ce droit, le seigneur eût un droit de suzeraineté
sur le domaine.           (Code des Seigneurs Hauts-Justiciers et Féodaux, etc.)
   (2) Suivant des Lettres-Patentes données par Charles VHI en 1495 , confirmées
par Henri IV eu 1595, lors de la réorganisation de l'échevinage, l'élection aux
places de conseillers-échevins de la ville de Lyon, conférait à eeux-ci et à leur
postérité, le titre et le privilège de noblesse.