page suivante »
349 bruit à cette é p o q u e , était le café tenu par la dame veuve L a u - r e n t , dans la rue Dauphine, et qui réunissait une société fort nombreuse- On y voyait des savans, des artistes, des littérateurs, des acteurs, des gens d'épée, de r o b e , de finance , des mar- chands, des rentiers, des abbés ; on y jouait, on y débitait les nouvelles de la cour et celles de la ville ; on y causait de science, de poésie , de t h é â t r e , de religion , de m o r a l e , de politique ; on disputait, on chicanait, on attaquait, on répondait, et tout cela se faisait sans égards , sans ménagemens aucuns. Il est facile de juger combien ces grossiers débats , provoqués le plus souvent par des personnages adroits et perfides , mettaient à découvert les gens qui y prenaient part de bonne foi; chacun s'y dessinait largement et y donnait la mesure de son instruction, de son e s p r i t , de son caractère, de ses principes , de ses goûts : on conçoit aisément tout l'avantage que la police pouvait en re- tirer dans l'occasion, et l'on sent aussi que des gens qui s'épar- gnaient si p e u , qui pensaient se connaître si b i e n , ne devaient pas avoir les uns pour les autres une parfaite estime, une véri- table amitié. De toutes les personnes qui fréquentaient le café de la veuve L a u r e n t , les plus distinguées , sous le rapport du s a v o i r , de l'es- prit et des talens , étaient les sieurs Saurin, L a m o t l e , Autreau, Boindin, Duché, Danchet et Rousseau. Joseph Saurin, profondément versé dans les sciences physi- ques et mathématiques , était encore très fort sur les matières de théologie et de morale. Né dans la religion réformée, très-jeune, il en avait été ministre en Suisse, et il avait ensuite abjuré entre les mains de Bossuet, évêque de Meaux. Cette conversion à la foi catholique lui avait valu les bonnes grâces du roi et la protection d'hommes très-puissans ; il était de l'Académie des Sciences, et il travaillait, avec l'abbé Bignon, à la rédaction du Journal des Savans. Quant à son caractère , il était altier , ferme, énergique, capable de tout entreprendre et de tout faire pour réussir : aussi la conversion de Saurin a-t-elle toujours été re- gardée comme plus intéressée que sincère (1). Du reste, il affichait (1) « Bossuet, dit Voltaire , en parlant de Saurin, crut avoir converti un mi- « nistre, et il ne fit que servir à la petite fortune d'un philosophe. » Quel éloge!