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bruit à cette é p o q u e , était le café tenu par la dame veuve L a u -
r e n t , dans la rue Dauphine, et qui réunissait une société fort
nombreuse- On y voyait des savans, des artistes, des littérateurs,
des acteurs, des gens d'épée, de r o b e , de finance , des mar-
chands, des rentiers, des abbés ; on y jouait, on y débitait les
nouvelles de la cour et celles de la ville ; on y causait de science,
de poésie , de t h é â t r e , de religion , de m o r a l e , de politique ; on
disputait, on chicanait, on attaquait, on répondait, et tout cela
se faisait sans égards , sans ménagemens aucuns.
    Il est facile de juger combien ces grossiers débats , provoqués
le plus souvent par des personnages adroits et perfides , mettaient
à découvert les gens qui y prenaient part de bonne foi; chacun
s'y dessinait largement et y donnait la mesure de son instruction,
de son e s p r i t , de son caractère, de ses principes , de ses goûts :
on conçoit aisément tout l'avantage que la police pouvait en re-
 tirer dans l'occasion, et l'on sent aussi que des gens qui s'épar-
gnaient si p e u , qui pensaient se connaître si b i e n , ne devaient
pas avoir les uns pour les autres une parfaite estime, une véri-
table amitié.
    De toutes les personnes qui fréquentaient le café de la veuve
L a u r e n t , les plus distinguées , sous le rapport du s a v o i r , de l'es-
prit et des talens , étaient les sieurs Saurin, L a m o t l e , Autreau,
Boindin, Duché, Danchet et Rousseau.
    Joseph Saurin, profondément versé dans les sciences physi-
ques et mathématiques , était encore très fort sur les matières de
théologie et de morale. Né dans la religion réformée, très-jeune,
il en avait été ministre en Suisse, et il avait ensuite abjuré
entre les mains de Bossuet, évêque de Meaux. Cette conversion
à la foi catholique lui avait valu les bonnes grâces du roi et la
protection d'hommes très-puissans ; il était de l'Académie des
Sciences, et il travaillait, avec l'abbé Bignon, à la rédaction du
Journal des Savans. Quant à son caractère , il était altier , ferme,
 énergique, capable de tout entreprendre et de tout faire pour
 réussir : aussi la conversion de Saurin a-t-elle toujours été re-
 gardée comme plus intéressée que sincère (1). Du reste, il affichait
  (1) « Bossuet, dit Voltaire , en parlant de Saurin, crut avoir converti un mi-
« nistre, et il ne fit que servir à la petite fortune d'un philosophe. » Quel éloge!