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s'accroupissent sur le bord du lleuve, et le regardent couler, n'ayant plus assez
de force pour lutter contre le courant. Oh ! que cela est tristement vrai, et
qu'il y a de sérieuses réflexions à faire sur ce besoin de vivre qui nous brûle, nous
tous fils du siècle : quel trésor de généreuses intentions nous portons en nous, et
comme nous le dépensons follement sans but utile, sans résultat positif! Quelle
sève de courage nous usons sans profit, jetant à travers toutes les grandes épreuves
de la vie un cri de désespoir et de désolation !
  ^ Dites, vous est-il quelquefois arrivé deréfléchir surtout ce qu'une pareille position
fait souffrir d'atroces douleurs? Avez-vous compris la lutte d'une jeune organisa-
tion qui se débat avec la puissance de ses désirs sous la dent de fer de la société ?
Avez-vous compris encore ce vent de désespoir qui dessèche tout-à-coup cette
pauvre fleur étiolée , quand elle a en vain demandé au monde quelques larmes
ou quelque tendresse pour s'épanouir? Avez-vous compris enfin cette dernière et
plus terrible position d'une intelligence lasse de tout et rêvant le suicide, et d'une
 conviction chrétienne, ne fut-ce que par souvenir, et reculant devant la mort
 volontaire, non par crainte , mais par probité de conscience ?
     Eh bien ! si jamais vous avez essayé de sonder toute la profondeur de cet abime;
 si, détournant vos yeux des joies de la société, vous avez plongé un instant dans
toutes les douleurs de ce gouffre, n'ayez point de paroles de malédiction pour ceux
 qui s'y sont précipités ; ne vous écriez point que c'est par amour de vaine gloire,
 comme Empédocle ; ne pensez point qu'ils voulussent s'immortaliser, les mal-
 heureux ! ils ne vorilaient pas tant : ils ne demandaient que le bonheur.
     Voilà notre désir à tous, notre pierre philosophale ; et ne comprenant point
 que nos recherches doivent être inutiles ici-bas , il nous arrive de désespérer
 même de l'avenir céleste.
     Le remède à opposer à cette fièvre si ardente, ' c'est la foi ; deux voies nous
 sont indiquées pour y arriver : la science intellectuelle ; c'est une reconstruction
 de la croyance par l'étude des preuves écrites , des traditions , des textes ; la
 science pratique de la vie , c'est uu enseignement moral, une initiation dont
 l'épreuve marque chaque degré.
     Le dernier livre de M. Sainte-Beuve, je ne crains point de le dire, le seul
 roman d'utilité spirituelle qui ait paru en France, a abordé psychologiquement
  les symptômes de cette grande maladie. L'ame de M. Sainte-Beuve qui recèle
 toutes les ardentes émotions du jeune homme, lui avait déjà fourni le sujet de
  ses premières inspirations. Joseph Delorme, le chantre des impressions sensuelles,
  le réformateur continuellement préoccupé de la forme, le disciple de Chénier,
 se laissant aller avec tout l'abandon du poète à la rêverie de la joie ou de la dou-
  leur, aux folles paroles de la bonne fille, aux causeries de l'intimité, n'a d'abord
  saisi du monde que la surface sombre ou dorée ; puis il est descendu plus avant
  dans'le mystère des souffrances ou des plaisirs. Il a demandé à Dieu des CONSOLA-
   TIONS, et il a acquis pour la forme une plus haute expression de valeur artistique,