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Marguerite d'Autriche, alors âgée de 17 ans, écrivit sur un lam-
beau de papier les deux vers suivans :
                 Ci gîl Margot, la gentil damoiselle,
                 Qu'eut deux maris, et encore est pucelle.
Elle enferma dans une boîte, avec ses joyaux , la cédule qui con-
tenait ainsi ses souvenirs et ses regrets, et l'attacha à son bras ,
pour que son corps fût reconnu si les flots le déposaient sur la
grève. Le temps se calma peu à p e u , et elle arriva à bon port
après avoir couru toutes les chances et les hasards d'une traver-
sée orageuse. La fortune lui réservait encore une dure épreuve :
un an s'était à peine écoulé qu'elle était veuve de nouveau ; mais
celte fois elle était veuve par la mort cle son mari, nou point par
son caprice. Elle retourna dans son pays de Flandres, et là fut
recherchée par de nouvelles alliances. Philibert-le-Beau, duc de
Savoie, l'obtint, et Louis Gorrevod répandit ses bénédictions sur
le beau prince et la princesse, si malheureuse jusque-là.
   Le sort qui s'était attaché aux pas de Marguerite , et qui s e m -
blait la dominer par une influence salanique, ne put la souffrir
pendant long-temps ainsi bercée dans les bras de ce bonheur
qu'elle espérait devoir toujours durer. Le prince , son époux ,
était allé chasser du côté de Lagnieu, dans le pays de Buge.
Harassé par la chaleur et la fatigue ,il s'arrêta auprès d'une fon-
taine, à Saint-Vulbas. La fraîcheur subite de cet endroit om-
breux et humide lui donna une pleurésie, dont il mourut au
Pont-d'Ain , le 10 septembre 1504 , là où déjà était morte sa m è r e ,
et dans la chambre m ê m e où il avait pris naissance. Obligée de
rendre encore les devoirs à un m a r i , Marguerite se sentit persé-
cutée d'une idée qui ne lui laissa pas un instant de repos. Il lui
sembla qu'elle voyait apparaître devant elle comme une galerie
animée de squelettes; ceux de Philippe I I , de Marguerite de
Bourbon et de Philibert-le-Beau, venaient hideux et c r a q u a n t ,
s'agenouiller successivement devant e l l e , et la prier d'accomplir
ce vœu , dont l'exécution, sans cesse retardée , avait été cause de
leurs morts. Frappée de ce spectacle, qui se renouvelait souvent,
et dont la terrible illusion la glaçait d'épouvante , elle résolut de
mettre la première main à l'église de Brou, et de rendre ce m o -
nument digne , par sa magnificence , des augustes victimes dont