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79 Vous avez vu aussi quelle impression vous faisiez sur cette masse d'auditeurs qui n'avaient plus qu'une même oreille pour vous entendre , qu'une même ame pour vous comprendre , qu'une même bouche pour vous applaudir. En vérité, j'étais heureux de votre triomphe : c'est qu'il est si beau de voir un triomphe aussi beau que le vôtre ! Dirai-je toute la perfection du talent de Haumann ? je le crois pour ma part au- dessus de l'analyse ; ceux qui l'ont entendu ont dû reconnaître qu'il est impossi- ble de faire avec plus de délicatesse , de grâce , et surtout de fini, les traits les plus compliqués, les arpèges les plus précipités. On a beaucoup parlé du célèbre Paganini ; j'avoue que je ne peux pas croire qu'on puisse dépasser la ligne que M. Haumann a atteinte, et il a réalisé tout ce que mon imagination m'avait représenté du grand violoniste italien. Ici doit se trouver naturellement une comparaison entre Haumann et Artôt : je vais la faire en deux mots. Haumann est un talent achevé; Artôt est un jeune homme bouillant aussi de verve et d'imagination , mais qui a besoin de travailler encore pour sortir franche- ment du commun des martyrs. L'autre soir, je me laissai entraîner à un concert, c'était pour entendre un habile artiste , disait-on , M. Pantaléoni. Ce soir-là l'immense salle de la Loterie renfermait une assez notable assemblée. Le concert commença, je crois, par un froid quatuor de Beethowen, lequel quatuor eut seulement le privilège d'abaisser encore de quelques degrés la température de la salle, ( Dieu nous garde donc désormais d'un quatuor de Beethowen à la salle de la Loterie.) Puis vint M. Pantaléoni. Quelques mesures chantées avec sagesse et surtout avec une voix admirable de ténor , me firent penser que nous entendions-là un heureux rival de Riibini ; mais point.... je reconnus bientôt que les traits étaient manques, les cadences mal faites, les trilles et les roulades embrouillées ; malgré tout cela c'étaient des tonner- res d'applaudissemens. Il me vint à l'idée que mes sens étaient peut-être pervertis, et que par conséquent je ne pouvais être qu'un très-mauvais juge, aussi je m'abs- tins de juger ; j'avais pourtant démêlé clans la foule un grand nombre de jeunes compatriotes de M. Pantaléoni, accompagnés du ban et de l'arrière-ban de leurs amis. U était bien juste que cette innocente coterie applaudît à outrance ; on a tant de plaisir à faire valoir un artiste du pays, surtout quand malgré tous ses défauts il fait souvenir de la manière, du tour , des fioritures qu'on a entendus dans sa jeunesse, en un mot, quand on est loin de la patrie et qu'il la rappelle. Plus tard, M. Pantaléoni a chanté au théâtre , et là , le public l'a applaudi, quand il a chanté simplement en posant bien sa voix, sans effort et sans prétention ; mais ce bon public est resté froid à certains traits un peu prétentieux et passable- ment manques. Donc M.-Pantaléoni qui possède une fort belle voix, a besoin d'aller à Paris pour entendre les grands maîtres ; nul doute qu'avec du travail, il ne puisse se placer au premier rang. A. MANIQUET.