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                            BIBLIOGRAPHIE                               213
   La perte du patois n'est pas la seule cause de notre décadence : il
serait hors de propos de rechercher les autres ici ; mais elle en est
 une.
   En tous cas, elle est la marque principale et le couronnement de
 cette Å“uvre de mort.
   Où est le temps où j'ai vu faire charivari sous les fenêtres d'une
jeune fille parce qu'elle avait commis une faute ? le temps où l'on
n'osait pas se dire de tel village, parce que ce village avait été désho-
noré, plusieurs années auparavant, par un assassinat ? le temps où l'on
faisait une fois le matin, une fois le soir, la route de Couzon à Lyon,
sans compter plusieurs heures de marche dans Lyon, tout cela à pied
et sans fatigue ? le temps où tout le monde était debout à l'aurore, en
été, et voyait, des vignes ou des carrières, le soleil se lever à l'horizon
de la Bresse ? le temps où mariniers et tailleurs de pierres suivaient en
masse les processions des Rogations, à quatre heures du matin ? le
temps où les ouvriers, en se rendant au travail, faisaient leur prière à
genoux sur les degrés du perron de l'église, pendant le carême, lorsque
l'église n'était pas encore ouverte.
   Où est-il, enfin, le temps où les hommes s'endimanchaient en vestes
courtes, sans pans inutiles qui battent sur les mollets, les femmes en
jupes de futaine inusables et en bonnets de tulle, et tous en sabots, ou
au plus en galoches.
   Aujourd'hui, essayez donc de distinguer à sa toilette, le dimanche,
une jeune ouvrière d'une riche bourgeoise ! Je vous en défie. L'unifor-
mité s'étend partout.
   Plus de paysans bientôt, ni de paysannes ; plus de chrétiens ni de
chrétiennes ; partout des citadins, hélas ? et pas des académiciens, mais
des voyous.
 - Plus d'ignorants, ou du moins ayant conscience de leur ignorance;
tous bacheliers ou se croyant tels ; tous jalousant les riches et se défiant
des curés ; tous méprisant la glèbe comme trop basse, le marteau
comme trop lourd, la pioche comme trop salissante ; tous aspirent à
s'asseoir sur des ronds de cuir ; tous fonctionnaires ou apprentis fonc-
tionnaires; tous des messieurs, tous des mécontents, tous des déclassés.
   Et tous dès propres à rien.
   On appelle cela la République, le. progrès républicain. Ah ! oui,
républicains, nous le sommes par nos vices... je m'arrête, mon intention
étant de ne pas faire de politique.
      N ° 3 . — Mars 1832                                        ï cr