Revue du Lyonnais » série 5 - n°13 ( 1892 ) » pp.203

                         EN OISANS                        20$

   Dans la vallée, au bord du Vénéon le mulet de'.Gaspard
gambadait comme écolier en vacances.
   Turc lui fait la chasse et finit par s'en emparer en fai-
sant miroiter à ses yeux une croûte de pain fallacieuse;
puis,., ô surprise, le père Gaspard fait un bond et se trouve
en selle sur l'animal. En selle est une expression exagérée,
car sa monture n'a qu'un bridon pour tout harnachement.
   Il défile au pas superbement, parmi les grosses pierres,
et son piolet sous le bras : on dirait d'un picador entrant
 dans l'arène.
   L'arène est la prairie du Carrelet : Quel tapis de velours !
et qu'il doit faire bon se rouler sur les herbes odorantes !
Le mulet en a bien envie, mais Gaspard ne veut rien
savoir : le premier est têtu ainsi que gens de son espèce,
le second l'est davantage. Bientôt celui-là cherche à se
débarrasser de celui-ci et tout à coup se met à sauter, à
galoper follement, pointant, ruant, bouquant, comme un
mustang du Wild-West... puis il prend un parti et se lance
à la charge à travers les ruines de l'ancien village.
   « — Et Gaspard, me direz-vous, s'est-il fait mal en
tombant?
    « — Gaspard ! il est là, bien assis sur sa bête, impas-
sible' et souple des reins, les genoux serrés, les coudes au
corps, solide non moins qu'un cow-boy (... son grand
chapeau complète l'illusion) et tenant son piolet en travers
tel un gentleman-rider son stick ou son fouet de chasse.
   Le vieux grimpeur de rochers est un cavalier consommé,
personne ne s'en serait douté. Aussi victoire lui resta et le
mulet, battu et pas content, dut rentrer dans le rang.

  A la Bérarde, il tombait des torrents d'eau, il en fut
ainsi jusqu'au soir et nous eûmes le loisir de bouquiner tout