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212 BIBLIOGRAPHIE planter un autre. Ce travail préparatoire ne sera plus nécessaire pour nos enfants. Ce sera un bien encore en ce sens que le villageois qui ne possède qu'une instruction rudimentaire ou nulle, se fera entendre partout, même à Paris lorsqu'il s'éloignera de son pays, pour être soldat ou pour faire son tour de France. L'unité de langue a ses avantages ; qui oserait le contester ? Mais la variété avait aussi les siens. Quand le soldat libéré ou le compagnon revenant de son tour de France, en apercevant son clocher, entendait une langue qui n'était pleinement la sienne que là , il sentait que là aussi, et point ailleurs, il se trouvait pleinement chez lui ; il trouvait à son pays un charme qui lui rendait étrangers tous les autres, et le cosmopolitisme vagabond, qui est une des plaies du jour, le séduisait beaucoup moins aisément. Or, dans son village, il conservait ses anciennes mœurs. Si l'unité coïncide avec la diminution de l'amour de la patrie, si elle se fait dans l'amollissement des habitudes et l'abaissement des carac- tères, alors je regrette la variété. Certes, je ne prétends nullement que l'irréligion, la basse envie qui nous ronge, le luxe, l'avachissement soient venus du français, pas plus que le phylloxéra et l'appauvrissement, la dépopulation des campagnes ne soient venus des chemins de fer et de l'électricité. Cependant, sans tomber dans l'exagération, il y a quelque chose à dire. Les journaux ne se liraient pas tant et les politiqueurs venus des villes trouveraient moins d'auditeurs dans nos campagnes, si le patois y régnait comme autrefois. Or, les journaux, comme du reste les che- mins de fer, sont pour la démoralisation un puissant véhicule. Les cabarets n'en ont que de mauvais, les plus mauvais étant ceux qui allument le mieux les convoitises, parlent sans cesse de droits, jamais de devoirs, et font miroiter le plus d'utopies aux yeux des ignorants. Entre deux vins un bon journal ne serait pas à sa place. C'est donc avec le français, et un peu par lui, que nos populations rurales, jadis croyantes, simples, austères et viriles, sont devenues incrédules, irrespectueuses, envieuses, et aussi mobiles, aussi ingouver- nables que les masses ouvrières des villes. Les petits-fils des soldats de Napoléon I " ne savent plus marcher — grâce aux chemins de fer, aux mouches et aux omnibus, — ni vivre de peu, ni s'enthousiasmer, ni obéir.