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60        J . - J . ROUSSEAU ET MADEMOISELLE SERRE

tateurs ont montré ce qu'il faut penser de ses Confessions,
comme document historique. Quand sonnera la trompette
du jugement dernier, si l'auteur se présente, comme il dit,
ce livre à la main, il risque fort de voir son témoignage
récusé par la plupart de ceux qu'il a nommés.
    En vertu d'un de ces contrastes dont la nature humaine
fournit de fréquents exemples, Rousseau qui se prétendait
persécuté par tous les hommes, se croyait volontiers aimé
de toutes les femmes. Lui, pour sûr, — il ne se fait pas
faute de le répéter, —tombait amoureux de toutes celles
qu'il rencontra au cours de sa vagabonde carrière. Mais, en
dépit de ses habiles insinuations et de ses savantes réti-
 cences, il ne semble guère avoir fait ce qu'on appelle des
conquêtes. Car, même pour Mme de Warens, nul n'oserait
dire qu'elle fut la conquête du jeune Genevois : c'est
 plutôt lui qui fut la proie de cette experte personne.
    Il existe, comme cela, de par le monde, certaines femmes
 demandant tout juste au mariage les immunités qu'il con-
fère : êtres hybrides, ni filles, ni épouses, ni mères. Lorsque
 l'une d'elles a pour soi l'éducation et occupe un rang dans
 la hiérarchie sociale, elle est Mme de Warens, immortalisée
 par Rousseau; si elle est d'un milieu moins affiné, c'est
 Mmc Grégoire, chantée par Béranger.
    Je demande pardon pour ce rapprochement aux admi-
 rateurs de la bucolique des Charmettes ; mais il n'est point
 aussi paradoxal qu'il paraît de prime abord. Nous pourrions
 nous donner le facile plaisir de pousser très loin le parallèle;
 tenons-nous-en aux côtés essentiels. De part et d'autre,
 c'est le même défaut de sens moral, puisque la châtelaine
 des Charmettes, nous apprend son protégé, « ne pouvait
 concevoir qu'on donnât tant d'importance à ce qui n'en
 avait point pour elle » ; c'est aussi la même dextérité