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420 CHARLES BAUDELAIRE remarquables qualités de grâce, d'élégance et d'harmonie. Je me donnerai tout à l'heure le plaisir de citer une petite pièce qu'il écrivit pour moi quelques années plus tard. Elle ne mérite pas de prendre place dans son œuvre poétique ; mais on comprendra qu'elle me soit chère. Comment se trouvait-il au Lycée de Lyon, lui Parisien? Cela m'amène à compléter les récits de ses biographes sur sa première enfance. Baudelaire avait perdu son père de bonne heure; je ne crois pas qu'il l'eût connu; il ne m'en a jamais parlé. Sa mère, femme élégante et délicate avait épousé en seconde noce un officier de mérite, le baron Aupick, qui devint général de division et ambassadeur de France à Constantinople. Avant d'occuper ce haut poste, il commanda une brigade à Lyon ; et l'adolescent qui avait suivi sa famille fut placé à notre lycée en attendant un dé- placement nouveau. En effet quelques années après, le général Aupick fut appelé à un commandement supérieur à Paris; Baudelaire alla achever ses études au Lycée Louis-le- Grand, où il eut un prix au Concours général. Nommé de mon côté à l'École Normale supérieure, j'allai le voir à son lycée. Je le trouvai changé, attristé, aigri. Le milieu où il vivait lui était désagréable, et bien moins favorable à tous égards que celui de Lyon. Probable- ment il souffrait déjà de cruels chagrins de famille qui eurent une fâcheuse influence sur sa destinée. Toujours affectueux, c'est à cette époque, pendant l'hiver de 1839, qu'il m'envoya un jour cette petite pièce écrite entre deux devoirs, dans ce sombre Louis-le-Grand, au cours d'une ennuyeuse étude du soir, en entendant un musicien ambu- lant qui avait réveillé dans son esprit nos communs sou- venirs.