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206 EN OISANS retomber encore; c'est une danse de marionnettes et quelqu'un, de loin, qui nous verrait exécuter ces contor- sions de polichinelles, agiter les bras à rendre des points à de vieux télégraphes, et souvent lever la jambe à des hauteurs que Bullier ne connut jamais, dirait à part lui : « Ces gens-là sont rudement maladroits : quand on ne sait pas marcher on ferait mieux de rester chez soi. » Enfin nous arrivons au Pré de Madame Carie. Ce « Pré de Madame Carie » m'avait-il assez fait rêver autrefois! — due peut bien être un pré, situé au confluent de deux grands glaciers, me disais-je, l'herbe doit en être bien maigre et la fenaison peu abondante Et cette Madame Carie, que diable venait-elle faire en ces parages ? Désillusion! le pré de Madame Carie est un vilain champ de pierres, tout plat, dans le genre de la Crau, où ne pousse pas le moindre graminée, je me trompe : il y a dans un coin une agglomération de vieux arbres verts, à moitié chauves, sous lesquels rampe un gazon étiolé. C'est au milieu de ce bouquet qui occupe bien trois cents mètres carrés que fut construit le premier refuge Cézanne détruit par un coup de vent. Vous dire la douceur que nous trouvâmes à ce pauvre paysage, à cette verdure anémique, au sortir du monde glaciaire que nous parcourions depuis plusieurs jours, au sortir, surtout, de cette combe farouche du Glacier Noir où l'on est écrasé entre les géants de granit!! Les quelques mélèzes qui végètent tristement autour des murs ruinés de la cabane, nous donnaient l'illusion d'un bocage ravissant : il n'y manquait ni l'herbe, ni l'eau cou- rante, ni le soleil à son déclin, qui venait réchauffer les tons du tableau et les mettre en vigueur, ni deux ou trois oiseaux très petits qui sautillaient parmi les branches Il