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392 UN MARIAGE SOUS LES TROPIQUES. blement la félicité. Rien n'est soumis et docile comme mon âme : mon cœur est un baume dont la senteur s'exhale à la chaleur de l'affection, mais qui se durcit comme de l'acier devant l'indifférence. Comprenez-vous, ajoutait-elle en levant sur lui ses jeux noirs frangés de longs cils et le couvant d'un regard profond, comprenez- vous ce que j'ai dû souffrir de la froideur de mon père et de la haine inouie de ma mère! Vingt fois j'ai cherché à me donner la mort, et, sans la robusticité de ma com- plexion, j'aurais succombé. Mais, 6mon Dieu! où trouver cette ardeur qui fond deux âmes en une seule, qui couvre de fleurs ce double esclavage si doux à tous deux, qui fait qu'on meurt pour satisfaire un désir, pour deviner une pensée ! Non, non ! Ce sentiment vit là , dans mon sein où il mourra inconnu, dédaigné par ceux qui n'auront pas su l'y découvrir ; moi qui suis si bonne, si généreuse, qui aurais rendu au centuple le bonheur qu'on m'eût d onné! Et sans ôter sa main de celle de Rodolphe, singulière- ment ému, Herminia leva au ciel ses yeux baignés de pleurs. Une autre fois la conversation prenait un tour moins ten- dre, mais non moins attachant.Rodolphe, la voix animée, le geste éloquent,lui peignaitles merveilles du vieux monde.Il déroulait devant elle comme dans un panorama magnifique les gloires de l'industrie, les enchantements des fêtes, les délices du confort intérieur,les splendeurs des palais et des villes, puis, avec la franchise de son âge, il faisait ressor- tir la différence des mœurs et ne dissimulait point combien certaines coutumes l'avaient froissé dans ses susceptibi- lités intimes. Herminia paraissait le suivre avec une at- tention enthousiaste, mais, de temps à . autre, un pli de sa lèvre trahissait une suprême ironie et ses yeux brillaient