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LE BOUQUET FATAL. 257 l'insaisissable ennemi daigne s'assoupir on instant. Mes nuits sans sommeil sont occupées par des explosions de rage impuis- sante ; le boire et le manger me font horreur, tout ce qui m'en- toure m'est odieux. « Ma vie est un cauchemar perpétuel, ma vue s'obscurcit, mon tympan résonne sous un éternel carillon, son glas lugubre et assourdissant tinte sans relâche à mes oreilles. « Quelquefois je m'enfuis et bondis à travers la campagne dans i'espoir instinctif d'échapper à ce vautour tortionnaire; mais plus ma course est rapide, plus il redouble ses morsures. Je m'arrête, il se ralentit aussi, mais pour les imprimer plus sûre- ment. Il me semble que l'intérieur de ma tête n'est plus qu'une bouillie informe et repoussante dans laquelle il se vautre et s'ébat à plaisir. « Je fais peur à voir; vieilli de dix ans au moins, je suis un objet d'horreur et de pitié pour quiconque me soigne et m'ap- proche. 11 n'y a pas eu dans les cabanons de Bicêtre un être plus repoussant que moi. Nul de vous ne reconnaîtrait le beau Florimond ; je ne suis plus que son ombre, et encore ! « Non, le Dante n'a pas rêvé pour son enfer de torture pa- reille à la mienne. Si c'est une expiation, comme j'incline à le croire, il est temps qu'elle arrive à son terme. Maintes fois j'ai pensé à me tuer; mais tu me comprends ? Et puis ma mère est là . « Cette lettre est un adieu, mon cher Raoul. Transmets-le à tous nos amis, à ces compagnons des beaux jours qui sont finis pour moi. Plains-moi, et quand je ne serai plus, ce qui ne peut tarder, pense quelquefois à Ton FLORIMOND, » XIII. Six semaines après cette lettre, Raoul d'Olivais avait chez lui, rue de Seine, quelques amis et deux ou trois filles parmi les- quelles Frisette et Lucette. Ce cercle semblait soucieux et n'of-