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100              LETTRES D'HIPPOLYTE FLAKDRIN

la ville pour trouver un chirurgien qui pût l'arracher. Enfin
le résultat est que j'ai bien souffert et qu'au lieu de me pro-
mener je suis condamné à la chambre et à la diète. Cepen-
dant ne vous inquiétez pas; ça va beaucoup mieux.
   Janmot (3) a reçu de vous une lettre dans laquelle vous
vous donniez les noms les plus affreux, pour m'avoir, dites-
vous, écrit mille absurdités au sujet de mon tableau (4). Je
ne suis pas de votre avis. J'y ai trouvé du fort bon et le
garde. A cause du désordre de mon atelier, qui m'empêche
pour le moment de retrouver votre lettre, je ne pourrai y
répondre mot à mot, mais je le ferai de mémoire.D'abord,
comme j'aime votre sentiment, j'ai senti grand plaisir à lire
les louanges que vous donnez à certains morceaux qui sont
aussi selon moi les meilleurs. — Ensuite, regardant l'en-
semble, vous dites que vous ne reconnaissez pas là l'enfer,
ni le sentiment de peur qui partout domine le Dante. Pour
ces deux choses j'ai trouvé que vous vous trompiez. C'est
ici le purgatoire, et le sentiment qui anime le Dante n'est
point la peur, mais la pitié, sentiment que j'ai cherché à
rendre (5). Son action est d'offrir des consolations à ces
âmes malheureuses. Quant au reproche de manque de
force dans l'expression, j'en reconnais toute la vérité.
   La poésie de Dante dit bien autre chose ! Souvent elle
m'a fait peur, une peur sublime. Mais pour rendre cela il
faut autre chose que le talent d'un homme qui, par inter-
valles, rapides comme des éclairs, aperçoit le beau (ou du
moins se figure qu'il l'aperçoit), puis éteint tous cela dans


  (3) M. Janmot, le peintre lyonnais, auteur de la magnifique fresque
delà chapelle de l'Antiquaille [Id.).
   (4) 11 s'agit du tableau de Dante et Virgile, qui est au Musée de Lyon.
  (5) Ce sentiment est en effet une des choses frappantes du tableau.