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LETTRES D'HIPPOLYTE FLANDRIN 101 l'analyse de la forme, du ton, enfin de tout ce qui est utile comme moyen. C'est cette peine du moyen qui est la cause d'un résultat si faible comm: expression (6). Je le sens, je le reconnais, et cependant (je ne sais si je me trompe), mais ce ne sera pas pour moi une raison d'éviter les sujets difficiles, car jamais on ne se débarrasse plus facilement des petitesses dans le moyen que lorsqu'on est dominé par une pensée. Je crois, par exemple, que ça doit nous faire faire beaucoup plus de progrès que des études sans but. Selon moi, plus on se demande, plus on obtient. Demandez beaucoup, vous aurez un peu ; demandez peu, vous n'aurez rien. Je ne sais pas si vous me comprendrez, mais ce qu'il y a de certain, c'est que j'ai voulu dire quelque chose que vous auriez compris, si je vous l'avais dit de vive voix. Je trouve si difficile d'écrire de ces choses-là ! J'ai fini mon autre tableau, mon Saint-Clair (7), et M. Ingres est venu le voir, il y a huit jours, dans mon ate- lier. Oh, si vous saviez comme il a été encourageant ! mais oui, il faut que je vous dise tout, à vous, à la condi- tion pourtant que ce sera pour vous seul ! Il est entré, s'est placé en face du tableau. Assis depuis un moment, il ne disait rien ; j'étais embarrassé, Paul aussi. Knfin il se lève, me regarde les yeux pleins de larmes, et en m'em- brassant avec l'effusion, le sentiment que vous lui con- naissez, il me dit : « Non, mon ami, la peinture n'est pas perdue. Je n'aurai donc pas été inutile. » A ces mots, dont (6) On reconnaît ici toute l'exquise modestie de Flandrin. Quelle différence d'avec la manière dont Couture et les autres parlent d'eux- mêmes dans leurs lettres ! (Id.). (7) Saint Clair guérissant des aveugles. (Id.).