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102              LETTRES D'HIPPOLYTE FLANDRIN

je suis si indigne d'être l'objet, l'occasion, je suis devenu
petit et n'ai pu répondre que par des larmes. Comme nous
l'embrassions tous les deux, Paul et moi ! Il était heureux,
l'excellent homme ! Ah, je n'oublierai jamais le souvenir
de ce moment-là.
  Il n'y a qu'à un ami comme vous, mon Lacuria, que je
pouvais dire cela. Vous le sentez comme moi, vis-à-vis de
tout autre ça ne pourrait que me faire du tort.
   Je me rappelle qu'il y a quelque temps vous me deman-
diez si j'aimais tellement bien ce pays. Oh, voyez-vous,
c'est inexprimable !... J'aime bien la France, elle qui a mes
parents, mes amis; sans doute, je l'aime bien mieux, oh,
c'est certain ; mais quand je pense à quitter ici, ça me
pince le cœur. — Quand, de ma fenêtre seulement, je
vois cette belle plaine, puis cette belle chaîne de la Sabine,
ces belles montagnes avec leurs vieux noms, leurs noms
antiques; plus près de moi notre beau jardin, et enfin le
délicieux palais dont j'habite une aile ; quand je vois tout
cela d'une seule de mes fenêtres et que, me retournant de
l'autre côté, je vois et domine toute la ville, avec la ligne
de la mer pour horizon, oh ! voyez-vous, quand je pense
qu'il faudra laisser, quitter tout cela, ça me fait mal. J'aurai
bien de la peine, mais cependant il faudra se vaincre. Je
sens bien que ce n'est point ici que je dois vivre.
  A l'instant même où je vous écris, je reçois la lettre que
vous avez remise à M. Nicole, architecte (8). J'y vois que
vous êtes toujours bourrelé par le remords de m'avoir dit


  (8) Nicole, architecte distingué, un des sectateurs de ce qu'on a
appelé le style néo-grec. Il eut à Paris un atelier qui eut son heure de
vogue, et d'où sont sortis beaucoup de projets bizarres par leur simpli-