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312        LETTRE INÉDITE DE M. EDGAR Q.UINET

   Ce que vous dites des élections est exactement ce que je
pense. « Je suis à ma place de combat, et j'y reste. » Ces
mots expriment bien ma situation personnelle. Jen'aijamais
songé, un seul instant, qu'il pût y avoir lieu à ma candi-
dature. Si j'étais appelé à une action positive, décisive, je
ne me suis jamais engagé nu far niente. Mais cette action,
où est-elle ? La France en est à cent lieues. Après avoir
protesté depuis plus de seize ans, je ne me sens aucune
humeur d'aller me joindre à ceux qui ne perdent jamais
une occasion de rendre hommage à nos proscripteurs.
   Je n'espère rien de capital des élections. Quelques voix
ajoutées à l'opposition dynastique ne changeront rien aux
choses, je ne vois aucun principe en jeu, aucun drapeau.
C'est le réveil d'une nation qui a eu l'épine dorsale brisée
et qui ne se soucie guère de se tenir debout sur ses pieds.
   Disons la vérité. La France a été empalée au 2 décembre
et personne ne songe à lui ôter le pal. On la traite pour la
migraine ou le mal de dents ; mais de la cause du mal, pas
un mot.
   Après seize ans d'esclavage, la France ne sait ni ce qu'elle
veut, ni ce qu'elle ne veut pas. Pour exprimer cette situa-
tion hypocrite, elle prendra des caméléons qui retireront
chaque mot à mesure qu'ils l'auront avancé.
   Et pourtant, comme tous les peuples marchent, la France
aussi ne pourra toujours ramper : il faudra bien qu'elle
reprenne figure humaine. Seulement, comme le courage,
la conscience auront été pour peu de chose dans cette réha-
bilitation, il sera toujours à craindre qu'elle ne soit suivie
d'un nouvel esclavage.
   La France n'a su qu'oublier; cela ne suffit pas. Elle
trouve presque ridicule que Ton se dévoue pour elle. Voilà
le tempérament que nous avons vu pendant seize ans.
   Accoutumé à vivre dans des pays libres, il me serait