page suivante »
LE CHATEAU DE GROLÉE 289 accourut à Grolée et, de concert avec trois riches paysans du pays, acheta la vieille forteresse et tout ce qu'elle contenait, avec la condition expresse de la dépecer et de la démolir. L'aubaine devait être bonne ; le prix n'était pas exorbitant, le marché fut vite conclu. Les meubles richement sculptés, les dressoirs, les bahuts venus d'Italie et chargés d'ornements, furent d'abord enlevés et dispersés à tous les vents; les glaces de Venise, les tableaux et les œuvres d'art les suivirent; la salle des chevaliers qui offrait les lances, les haches d'armes et les cuirasses des aïeux, l'arsenal rempli encore d'une centaine d'armures glorieuses de tous les âges et rappelant le souvenir de nobles et vaillants hommes de guerre, furent dépouillés de leurs richesses ; les tapisseries brodées par la main des châte- laines ou venues des pays d'outre-mer, les faïences riche- ment émaillées, les pièces d'orfèvrerie s'envolèrent chez les marchands et les brocanteurs; les grilles artistement forgées, les rampes d'escalier, les gonds, les serrures antiques, les plombs descendirent chez les maréchaux, les juifs et les marchands de fer; les toits furent enlevés et, le château mis à sac, on se trouva en présence des matériaux de grand appareil qui avaient servi à ériger les épaisses murailles. Mais là , l'œuvre de destruction n'offrit plus la même facilité, ni les mêmes bénéfices. Les blocs de rocher qui avaient résisté aux assauts des catapultes refusèrent de céder au pic des démolisseurs et ceux-ci, après avoir découronné le donjon, enlevé les créneaux, arasé tours et courtines et jeté bas dans les fossés quelques rochers massifs, s'arrêtè- rent. Plus tard, le fils aîné d'Anthelme Sève, le généralissime des armées égyptiennes, Soliman Pacha, prétendit avoir vu de ses yeux cette désolante dévastation. Aux amis qui venaient le voir dans son palais du Vieux-Caire, il décri- 19