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                        MAX CLAUDET                      21^
 bon cœur à l'occasion. La veille de ma visite, on avait
 donné, — ce qui n'est pas fréquent, — une représentation
 dramatique au théâtre de Salins. Comme intermède, une
façon de poète du crû, de ceux dont on rit, devait dire des
vers. Claudet, qui a naguère esquissé fort spirituellement
son portrait à la plume dans le goût de La Bruyère, était
naturellement aux premières loges. A l'heure dite, la toile
se lève ; le poète paraît, vêtu de noir et couvert de la pous-
sière blanche que soulevait une bise à démonter Corne-à-
Bœuf, s'élance au bord de la scène et commence, d'une
voix lamentable, la lecture d'un poëme inintelligible. Le
public applaudit à tout rompre et bisse l'auteur qui, de con-
fiance, reprend sa lecture, lorsque, tout à coup, une cou-
ronne soutenue par des ficelles, descend du cintre et vient
coiffer le nourrisson des Muses, aux trépignements de toute
la salle. J'ai rarement vu de gaîté pareille à celle de Max
Claudet me contant ce comique apothéose, dans la perpé-
tration duquel je le soupçonne un peu d'avoir trempé !...
   A la nuit close, nous nous séparâmes avec une cordiale
poignée de mains. Je redescendis la côte, en suivant le sen-
tier sous l'ombre des grands arbres. L'air était d'une dou-
ceur fondante ; à chaque pas, des vers luisants brillaient
dans les berges parfumées. Arrivé au croisement des routes,
je me retournai : au-dessus de la gorge de Gouailles, la
lune se levait, éclairant déjà les eaux de la Furieuse ; tout
se taisait... En jetant un dernier regard à la loge de l'ar-
tiste, je pensai : — Voilà un homme heureux !... Je vou-
drais être Max Claudet.

                            EMMANUEL     VINGTRINIER.