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ON AUTOGRAPHE DE NAPOLÉON Ier. 377 collection qu'elle possède dans ce genre, a correspondu six mois de suite avec moi pour m'arracher une lettre de Mme de Sévigné dont elle me croyait possesseur. Elle m'écrivait des missives de cinq pages pleines d'esprit et de séduisante captation, afin de m'attendrir en sa faveur ; ses accents devinrent si déchirants, son envie arriva à un si haut paroxisme de persistance , que je me vis contraint de lui faire savoir que mon autographe n'était autre qu'un fac-similé de celle dont on a dit avec tant de grâce qu'eWe fut mère et ne fut point auteur. Détrompée de son erreur, la spirituelle collectrice a repris le sommeil et l'appétit, mais elle m'a avoué depuis, que la lettre convoitée lui semblait adhérente à son col, l'empêchait de boire, la gênait pour manger, puis écrasait son sommeil sous un affreux cauchemar. Le docteur C... ne se décourageait donc point, et si son bras ne pouvait m'atteindre , sa mémoire du moins ne me lâchait pas d'une seconde ; peut-être même mon souvenir est-il intervenu d'une manière fâcheuse dans le traitement de ses malades , et peut-être ai-je à me reprocher quelques ordonnances qui se sont ressenties du désappointement que je lui faisais éprouver ; peut- être enfin ai-je retardé des convalescences et entravé ses cures. Hélas ! j'en demande humblement pardon à Esculape, dont il fut l'un des plus illustres disciples à Genève. La perpétuelle anxiété dans laquelle je vivais avait ajouté un véritable intérêt à mon existence, et, je puis le dire, elle avait développé en moi des talents stratégiques vraiment dignes d'une meilleure cause. On aurait dit que pour conserver quelque chose du plus grand tacticien qui ait vécu, je m'efforçais de m'élever à sa hauteur par les ruses, les marches et les contre-marches aux- quelles je me livrais durant nos courses en ville, car il était ques- tion pour moi d'éviter un docteur très-ingambe, appelé par son état à parcourir à toute heure et dans toutes les directions les rues de la ville. J'avais fait de grands progrès dans cette petite guerre quoti- dienne, et souvent M.. C , dut croire, comme moi-même, à l'in- suffisance de ses efforts pour m'atteindre, lorsqu'un jour, jour .né- faste, la nature elle-même sembla se liguer avec lui contre moi, et je. succombai. Voici le fait : C'était en mars i829 ; il faisait une de ces bises brutales qui arrachent les chapeaux les plus enfoncés, les perruques les mieux assujetties, et qui apportent tant de perturbation dans le costu- me des dames assez osées pour sortir de chez elles durant ces ex- travagantes convulsions de l'atmosphère. — Je marchais tète baissée, enveloppé dans mon manteau, et je redoublais d'énergie pour franchir l'arcade du Mollard, si redoutable en pareille circons- tance, quand j'allai donner de front en plein abdomen du docteur